JLAR  1999

 

 

 

Sommaire

 

Médecine d'urgence PRISE EN CHARGE PRE HOSPITALIERE DES TRAUMATISMES GRAVES

Auteurs : Pierre CARLI, Caroline TELION

Département d'Anesthésie-Réanimation, SAMU de Paris, Hôpital Necker

Sommaire :

LES ETAPES MEDICALES DE LA PRISE EN CHARGE

EXAMEN GENERAL DU POLYTRAUMATISE

MONITORAGE ET MISE EN CONDITION POUR LE TRANSPORT

STRATEGIE DE LA PRISE EN CHARGE

ANALYSE CRITIQUE

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

 

Résumé

L'objectif de la prise en charge préhospitalière est double premièrement stabiliser les fonctions vitales du blessé chaque fois que cela est possible et ensuite évaluer rapidement les lésions et leur priorité thérapeutique pour orienter le blessé vers la structure hospitalière la plus apte à le prendre en charge. Cependant malgré la nécessité de gestes spécialisés la phase préhospitalière de la prise en charge ne doit pas retarder le traitement définitif des lésions qui n'aura lieu qu'à l'hôpital et sera souvent chirurgical. De même elle doit se dérouler dans les meilleures conditions de sécurité pour éviter l'aggravation des lésions existantes sans risque d'ajouter une composante iatrogène au traumatisme initial. Nous détaillerons le déroulement de la prise en charge et son organisation et comparer ce qui est fait en France et en Amérique du Nord.

1 - LES ETAPES MEDICALES DE LA PRISE EN CHARGE

1.1. A l'arrivée sur le terrain

Dès l'arrivée de l'équipe du SMUR, le médecin détermine brièvement le mécanisme de l'accident. Si la victime est facilement accessible, elle est mise en lieu sûr pour être examinée et pour commencer les premiers gestes. Si la victime est incarcérée, les premiers soins, dont nous verrons le détail plus loin, sont débutés pendant les manoeuvres de désincarcération sous strict contrôle médical. Dans tous les cas, surtout si le blessé se plaint de douleur rachidienne ou s'il est inconscient la rectitude de l'axe tête-cou-tronc est assurée pendant toutes les manoeuvres de mobilisation.

1.2. La prise en charge des détresses vitales

1.2.1. La détresse respiratoire

Les causes de détresse respiratoire peuvent être multiples, il peut s'agir d'une atteinte centrale (traumatisme crânien avec coma profond d'emblée), d'une obstruction des voies aériennes, d'une lésion pleuro-pulmonaire. Le tableau est le plus souvent évident, cependant la cyanose est rare en raison de l'anémie aiguë souvent associée. Le diagnostic étiologique est difficile à établir cliniquement sans examen complémentaire mais la prise en charge initiale associe dans tous les cas : - la libération des voies aériennes, l'extraction d'un éventuel corps étranger, l'oxygénation à fort débit (6 à 8 l par min). - l'intubation endotrachéale dont les indications sont très larges s'il existe des signes de détresse respiratoire, circulatoire ou neurologique. L'intubation est réalisée en règle par voie oro-trachéale. L'intubation naso-trachéale est interdite en cas de suspicion de fracture de la base du crâne. L'intubation est pratiquée classiquement sous laryngoscopie en s'aidant au minimum d'une anesthésie locale et au besoin si le patient est agité d'une sédation adaptée. La technique de la stabilisation en ligne avec 3 intervenants permet d'éviter tout mouvement intempestif du rachis cervical. Pendant la laryngoscopie on note la présence de sang (orientant vers une atteinte parenchymateuse) ou de liquide gastrique (faisant suspecter une inhalation). Dès que le polytraumatisé est intubé, il est ventilé artificiellement avec une FiO2 élevée d'abord avec un ballon relié à la sonde puis à l'aide d'un respirateur automatique de transport (FiO2 à 1). La complication la plus fréquente, aggravée ou déclenchée par la ventilation en pression positive est la survenue d'un pneumothorax sous tension. Il est signalé précocement par une désadaptation du blessé du ventilateur, l'augmentation des pressions d'insufflation, un emphysème sous cutané parfois extensif. Il impose un geste de sauvetage : la décompression d'urgence par une ponction à l'aiguille. Elle est réalisée sur la ligne médio-axillaire au niveau du 3ème ou 4ème espace intercostal du côté où siège ce pneumothorax signalé par une distension nette de l'hémithorax et une déviation trachéale du côté opposé. La pose d'un drain thoracique à l'extérieur de l'hôpital en l'absence de radio de thorax sera évitée autant que possible car elle expose à un risque iatrogène important : la lésion de la coupole diaphragmatique dont la position n'est pas connue.

1.2.2. La détresse circulatoire

Les signes classiques d'hémorragie, souvent évidents, peuvent être parfois moins simple à interpréter ainsi la pression artérielle peut être maintenue par la vasoconstriction, une bradycardie paradoxale réflexe peut aussi dans les cas les plus graves remplacer la classique tachycardie. La réanimation de la détresse circulatoire a pour objectif de maintenir une pression de perfusion et un apport d'oxygène suffisant mais elle ne doit pas retarder le transport vers l'hôpital et l'hémostase en milieu chirurgical de la lésion qui saigne. Elle comprend les éléments suivants : - Mise en place d'une ou plusieurs voies veineuses périphériques de gros calibre permettant la perfusion rapide de substitut de plasma. - La perfusion de solutés de remplissage qui sont en première intention des colloïdes en solution polyionique, qu'ils s'agissent de gélatines ou d'amidons. Ces solutés sont légèrement hypo-osmotiques ou iso-osmotiques au plasma et ils permettent un remplissage vasculaire voisin du volume perfusé. Plus récemment des solutés salés hypertoniques ou des solutés transporteurs d'oxygène ont été proposés. Ils sont encore à l'étude et leur utilisation n'est pas généralisée. Le remplissage vasculaire reste la base de la réanimation des hypovolémies aiguës mais son usage est limité par l'hémodilution et l'apport liquidien qu'il provoque. La nécessité d'un remplissage vasculaire rapide et prolongé pour maintenir la pression artérielle risque de compromettre le transport d'oxygène en périphérie par une hémodilution majeure. Ceci aggrave l'ischémie tissulaire d'autant que la volémie n'est pas correctement compensée. Une non réponse au remplissage rapide après une perfusion d'environ 200 ml de colloïdes témoigne d'une hémorragie particulièrement active et souligne l'urgence de l'hémostase chirurgicale. L'efficacité du remplissage vasculaire est suivie sur la disparition des signes de choc et la stabilisation de la pression artérielle. La réalisation d'un micro-hématocrite ou d'une analyse rapide de l'hémoglobine permet d'évaluer l'hémodilution. L'objectif du remplissage vasculaire en terme de pression artérielle dépend du traumatisme pris en charge. S'il s'agit d'une lésion unique un certain degré d'hypotension artérielle est facilement supporté. A l'inverse chez un traumatisé crânien atteint de lésions multiples, toute hypotension peut considérablement aggraver l'atteinte cérébrale. Dans ce cas, la pression artérielle doit être maintenue pour assurer une pression de perfusion suffisante. Classiquement cet objectif est atteint pour une pression artérielle systolique de 110-120 mmHg. Plusieurs autres thérapeutiques peuvent être utilisées de seconde intention pour maintenir la pression artérielle systolique. - L'apport de sang pour combattre l'hémodilution est d'intérêt limité si le blessé peut être transporté rapidement vers l'hôpital. La transfusion préhospitalière qui doit répondre aux conditions de sécurité et de traçabilité hospitalière est donc seulement utilisé pour des transports prolongés. - L'autotransfusion n'est possible qu'en cas d'hémothorax drainé. Ceci est rarement le cas en l'absence d'un traumatisme pénétrant du thorax. Dans tous les cas cependant un prélèvement pour groupage sanguin est réalisé sur le terrain, il fera gagner du temps pour préparer la transfusion à l'arrivée à l'hôpital. - Le pantalon antichoc a une utilisation réservée à certains types de traumatismes. En particulier il peut réaliser l'hémostase provisoire par compression d'un hématome rétropéritonéal lié à une fracture complexe du bassin permettant ainsi d'attendre l'hémostase réalisée à l'hôpital au mieux par embolisation. Son utilisation nécessite l'intubation et la ventilation artificielle du blessé en raison de l'effet néfaste sur la ventilation de la compression abdominale. Une anesthésie générale est plus nécessaire pour lutter à la fois contre la douleur et pour permettre la ventilation artificielle dans de bonnes conditions. - Les vasoconstricteurs (Adrénaline), ne permettent pas de compenser les pertes volémiques mais de maintenir la pression artérielle et la pression de perfusion des organes lésés lorsque le remplissage est inefficace ou déjà trop important. Leur administration est nécessaire si un collapsus brutal se produit lors d'une manipulation du blessé hypovolémique, lors de l'induction d'une anesthésie générale ou lors d'un syndrome de levée brutale d'une compression. La dose d'adrénaline en perfusion continue est adaptée à la réponse hémodynamique en commencant par 1 mg/heure à la seringue électrique. La perfusion sera arrêtée dès que possible. Ces mesures spécialisées ne doivent pas faire oublier les gestes simples et classiques qui permettent de diminuer le saignement : réalignement des membres fracturés, hémostase provisoire par compression d'une plaie artérielle, point de rapprochement sur les berges d'une plaie importante du cuir chevelu.

Enfin, en plus de l'hypovolémie la détresse circulatoire peut être due à des causes plus rares ne se démasquant, le plus souvent, que lorsque l'hypovolémie est en partie compensée. Ainsi une défaillance circulatoire accompagnée d'une hyperpression veineuse doit faire suspecter un pneumothorax suffocant dont nous avons vu le traitement plus haut ou plus rarement une tamponnade ou une contusion myocardique étendue pouvant se compliquer de troubles du rythme ou de la conduction. L'existence d'une vasodilatation aiguë fait envisager une section médullaire haute liée à une lésion rachidienne instable.

1.2.3. La détresse neurologique

L'état neurologique d'un blessé ne peut être évalué cliniquement avec précision que si l'état ventilatoire et circulatoire sont contrôlés. Dans certains cas l'examen neurologique peut être trompeur : l'agitation peut masquer des signes déficitaires au début, les lésions périphériques des membres peuvent simuler un déficit moteur, une mydriase peut être due à un traumatisme local du nerf optique. L'aggravation rapide de l'état neurologique objectivée notamment par une altération du score de Glasgow conduit à orienter le blessé vers un centre où sera réalisée une tomodensitométrie cérébrale en priorité à la recherche d'un hématome accessible au traitement chirurgical. D'un point de vue thérapeutique tous les blessés dont le score de Glasgow est inférieur à 8 sont sédatés, intubés et ventilés artificiellement en évitant toute hypoxémie et en induisant une légère hypocapnie par hyperventilation. La pression artérielle systolique de ce blessé comateux sera maintenue à 110-120 mmHg par le remplissage vasculaire et au besoin l'utilisation de vasoconstricteurs. Une lésion médullaire est recherchée de principe, car elle constitue aussi une détresse neurologique, son diagnostic est facile si le blessé est conscient. Elle est suspectée systématiquement si la victime est inconsciente, le blessé est alors immobilisé en conséquence. La constatation d'un déficit moteur sensitif à l'examen initial est noté avec précision pour en suivre l'évolution. Un priapisme ou une béance du sphincter anal sont des signes de mauvais pronostic signalant une lésion médullaire d'apparence complète.

2 - EXAMEN GENERAL DU POLYTRAUMATISE

Une fois les détresses vitales évaluées et leur traitement débuté, le médecin peut reprendre plus calmement l'examen clinique du blessé. Cet examen a pour but, en partant de la tête jusqu'au pied, d'inventorier les lésions patentes ou suspectées et d'envisager la priorité avec laquelle elles doivent être traitées. L'examen commence par le crâne, la voûte crânienne à la recherche d'une fracture, d'une embarrure, d'un hématome ou d'une fuite de LCR ou de sang signalant une fracture de la base du crâne. Le rachis cervical est palpé avec précaution et est immobilisé au moindre doute ou systématiquement, si le blessé est inconscient. Le thorax est examiné à la recherche de points d'impact, de fractures de côtes, d'anomalies pariétales et pour déterminer l'existence d'une atteinte pleurale ou parenchymateuse sous-jacente. L'examen de l'abdomen, souvent décevant lorsque le patient est dans le coma, pourra mettre en évidence une défense ou une matité des flancs signant un épanchement abondant. L'examen des membres recherche les fractures, mais il ne faut pas oublier d'examiner la mobilité des grosses articulations qui peuvent être le siège d'entorses ou de luxation de diagnostic difficile chez le blessé comateux. La palpation des fosses lombaires recherche un hématome signalant une lésion rétropéritonéale rachidienne, vasculaire ou rénale. La pression des ailes iliaques recherchera une fracture de la ceinture pelvienne. La complication majeure des fractures complexes du bassin est la constitution d'un hématome rétropéritonéal extensif dont le diagnostic clinique est initialement difficile.

3 - MONITORAGE ET MISE EN CONDITION POUR LE TRANSPORT

En plus des mesures thérapeutiques décrites le polytraumatisé est immobilisé de principe dans un matelas à dépression qui permet une contention efficace au cours des transferts. Les fractures des os longs sont immobilisées dans ce matelas ou à l'aide de dispositifs spéciaux (attelles métalliques ou gonflables). L'hypothermie est très fréquente chez les polytraumatisés d'autant plus qu'ils ont bénéficié d'un remplissage vasculaire non réchauffé. Elle impose la mise en place systématique d'une couverture isolante. La prévention des infections repose d'abord sur des mesures simples : désinfection des plaies et mise en place de pansements protecteurs. L'injection d'antibiotiques est guidée par les lésions existantes elle n'est utile que si le transport vers l'hôpital risque d'être long et qu'il existe une fracture ouverte ou un délabrement. Dans ce cas, elle est probabiliste dirigée contre les germes telluriques et peut faire appel à l'amoxicilline en association à l'acide clavulanique ou à une céphalosporine de première ou deuxième génération. L'analgésie ou la sédation est systématique chez un blessé qui souffre, cependant elle doit être adaptée à la détresse respiratoire ou circulatoire qu'elle risque de majorer. Ce point de la prise en charge est souvent négligé dans les pays anglo-saxons (5) mais bénéficie en France de la présence de médecins sur le terrain (2). On peut utiliser l'injection prudente de morphine IV à dose titrée (par bolus de 2 mg). La réalisation d'une anesthésie générale peut être nécessaire pour faciliter l'intubation d'un blessé agité ou en CGS <8, pour réaliser une désincarcération ou un geste particulièrement douloureux. La technique de l'anesthésie générale doit être adaptée aux circonstances et à l'état cardiovasculaire précaire des blessés. En général, on utilise des doses faibles de médicaments injectées de manière fractionnée et ayant des effets hémodynamiques limités. Les médicaments les plus adaptés pour cette anesthésie sont des hypnotiques à action courte tel que l'étomidate qui procure une bonne stabilité hémodynamique à la dose d'environ 0,3 mg/kg. On peut y associer un antalgique puissant, le fentanyl intraveineux. De nombreuses autres associations sont possibles utilisant les benzodiazépines ou d'autres hypnotiques à faible dose. La kétamine en particulier garde ici ses indications classiques en cas d'instabilité hémodynamique. L'accueil hospitalier d'un blessé anesthésié à la phase préhospitalière de sa prise en charge doit être adaptée. Par exemple la réalisation d'une tomodensitométrie cérébrale est systématique car la conscience ne peut plus être surveillée, de même une échographie abdominale est réalisée au moindre doute de lésion abdominale. Ceci souligne l'importance d'une continuité entre la prise en charge préhospitalière et hospitalière.

Le monitorage du polytraumatisé pendant le transport a pour but de surveiller l'efficacité des traitements mis en oeuvre et de dépister une aggravation brutale ou l'apparition de lésions non diagnostiquées lors du premier examen. En plus des données cliniques, respiratoires, hémodynamiques et neurologiques, on doit utiliser : - la surveillance contenue de l'ECG et la prise de la pression artérielle par un brassard automatique en sachant que les variations de fréquence cardiaque et de la pression artérielle n'évaluent pas que l'hypovolémie, ils peuvent être liés en particulier à la douleur. - l'oxymétrie pulsée dont la mesure peut être gênée par la vasoconstriction d'un état de choc. Elle détecte une hypoxémie si elle est inférieure à 90 %. - la capnométrie et la capnographie permettent d'adapter la ventilation artificielle en maintenant une légère hypoventilation (ETCO2 à 30 mmHg) en cas de traumatisme crânien. Une baisse brutale de l'ETCO2 en l'absence de modification ventilatoire peut témoigner d'un collapsus brutal.

4. STRATEGIE DE LA PRISE EN CHARGE

La réanimation initiale sur le terrain fait appel en France aux SAMU et aux SMUR. L'alerte donné par le 15 conduit à l'envoi sur place d'une équipe de SMUR aidé par des secouristes (le plus souvent Pompiers). Après transmission des éléments diagnostiques et thérapeutiques de la prise en charge préhospitalière au régulateur du SAMU, celui ci indique la structure hospitalière prête à le prendre en charge. Le transport est effectué sous une surveillance médicale constante que nous avons décrit plus haut en utilisant le moyen de transport adapté à la géographie, aux spécificités et disponibilités locales. Ce transport doit être réalisé dans les meilleures conditions de sécurité possibles et sans perte de temps. Ainsi on pourra utiliser une ambulance spécialisée (Unité Mobile Hospitalière) ou un hélicoptère médicalisé. Le service d'accueil est prévenu par le SAMU et l'équipe remet un rapport complet de son intervention à l'arrivée.

5. ANALYSE CRITIQUE

5.1. La stratégie

Elle est basée sur l'idée que la réanimation sur place améliore la sécurité pendant le transport, limite la dégradation des fonctions vitales du patient, diminue la mortalité précoce et probablement la morbidité tardive. Ce concept, que les anglo-saxons dénomment de façon impropre et parfois peu flatteuse de " stay and play " littéralement " rester et jouer ", est bien souvent mal compris par ses détracteurs. Lorsque l'objectif est la stabilisation des fonctions vitales sur le terrain, c'est une équipe hospitalière qui se déplace le plus vite possible au contact de l'accident pour y réaliser les premières étapes incontournables de la prise en charge au lieu d'attendre pour les réaliser que le patient soit amené d'une manière " sauvage " à l'hôpital le plus proche. Ce qui est fait sur le terrain n'est plus à faire à l'hôpital et les gestes thérapeutiques qui sont réalisés ont pour objectif de pallier à une détresse vitale immédiate ou de faciliter la sécurité pendant le transport, ils sont donc réalisés dans les délais les plus brefs. Ainsi, lorsque l'équipe médicale bien entraînée observe une aggravation du patient, malgré des mesures de réanimation immédiates appropriées, ceci est la meilleure preuve de la nécessité d'une intervention chirurgicale salvatrice la plus rapide possible. Ce raisonnement médical basé sur la bonne connaissance de la pathologie, l'expérience de terrain, l'interprétation de l'examen du patient et de son monitorage n'est possible que lorsque l'équipe préhospitalière comprend un médecin (3). Aux USA, l'équipe préhospitalière est composée de " paramedics ", personnel auxiliaire paramédical, qui agit sur le terrain suivant la théorie citée plus haut du " scoop and run ". Le principe non discutable du système est qu'il faut transporter le plus vite possible tout patient depuis les lieux du traumatisme jusqu'à l'hôpital. Beaucoup de " Trauma Surgeons " américains pensent qu'il est beaucoup plus important de courir (" Run") que d'évaluer le patient (" scoop "). Tout geste de réanimation réalisé à l'extérieur de l'hôpital est considéré, par eux, comme une perte de temps et n'a que peu ou pas d'influence sur le pronostic du patient (14). Par contre le transport le plus rapide possible vers l'hôpital conduit à des erreurs d'orientation. Un blessé grave admis au plus vite dans un hôpital de proximité nécessite souvent un transport secondaire. Le gain de temps initial est alors totalement perdu et le pronostic souvent aggravé par rapport à une admission directe en centre spécialisé (17). La pathologie traumatique aux USA est majoritairement représentée par les traumatismes pénétrants. Leur prise en charge hospitalière se résume le plus souvent à une chirurgie d'hémostase d'urgence (7). Ceci explique en grande partie la rusticité de la prise en charge préhospitalière.

5.2. Réanimation circulatoire

5.2.1. Hémorragie non contrôlée

La réanimation du choc hypovolémique du traumatisé est le centre d'un débat récurrent entre les réanimateurs européens et les tenants du " scoop and run ". Ces derniers considèrent que le remplissage vasculaire est inutile et dangereux avant que la cause de l'hémorragie ne soit contrôlée chirurgicalement. Cette argumentation repose avant tout sur des études expérimentales réalisant un modèle d'hémorragie non contrôlée (8) L'argument clé des opposants à tout remplissage vasculaire au cours des hémorragies est que l'augmentation de la pression artérielle est une source d'augmentation du saignement. De même l'hémodilution qui résulte du remplissage par des colloïdes ou des cristalloïdes provoque des troubles de la coagulation et donc empêche l'arrêt du saignement. Aussi simple que paraissent ces explications, elles ne sont que fragmentaires et ne peuvent pas être admises aussi catégoriquement. A l'extrême la seule situation où l'hémorragie s'arrête spontanément sans contrôle chirurgical c'est la survenue d'un arrêt cardiaque, dont on sait l'effet catastrophique sur le pronostic. La transposition en clinique de ces résultats expérimentaux s'est par contre révélée difficile. Plusieurs études, non contrôlées, rétrospectives ont cherché à établir ces résultats mais leur méthodologie est particulièrement faible. Elles sont donc plutôt du domaine de l'affirmation, que de la démonstration irréfutable. En considérant uniquement les traumatismes pénétrants du thorax, à priori les plus proches des conditions expérimentales de l'hémorragie non contrôlée, une seule étude randomisée incluant uniquement des patients ayant une hypotension à la suite d'un traumatisme pénétrant du thorax, a prétendu avoir démontré que le remplissage vasculaire avait un effet négatif sur le pronostic et les complications post opératoires (1). Ainsi les patients qui ne recevaient aucun remplissage à la phase préhospitalière et à l'hôpital en phase préopératoire avaient un meilleur pronostic que ceux qui étaient réanimés plus classiquement (70 % de survie contre 62 %). Cependant cette étude souffre de nombreux biais qui enlèvent beaucoup d'intérêt à sa conclusion : en particulier les traitements complémentaires, les lésions associées et les causes de mortalité des patients ne sont pas précisés, de plus il existe de nombreuses violations du protocole et, enfin l'analyse statistique est discutable (3)

5.2.2. Traumatisme crânien et hémorragie

Si en Europe, les traumatismes pénétrants sont rares, l'association au cours d'un traumatisme fermé de lésions crânio-cérébrales à un polytraumatisme est très fréquente. L'existence d'un traumatisme crânien sévère perturbe considérablement l'autorégulation cérébrale et en conséquence, le cerveau contus devient très sensible à l'hypotension qui induit une ischémie. Ce mécanisme ainsi que l'hypoxie, sont à l'origine de l'aggravation secondaire des lésions encéphaliques. Une hypotension ou une hypoxie initiale sont donc des facteurs qui assombrissent de manière significative le pronostic des patients. Chez ces patients la réanimation circulatoire préhospitalière prend une importance très particulière car le maintien de la pression artérielle est le seul garant d'une pression de perfusion cérébrale suffisante. Dans ce but le remplissage vasculaire et l'utilisation de médicaments vaso-actifs peuvent se révéler nécessaire. Plusieurs travaux font ainsi état d'une amélioration de la morbidité et de la mortalité lorsque, dès la phase préhospitalière, l'hypoxie et l'hypotension sont le plus rapidement possible corrigées (6). Ceci explique que dans la majorité des cas, en Europe, le remplissage vasculaire pour maintenir la pression artérielle, reste indiqué.

5.3. Réanimation respiratoire

Un contrôle efficace des voies aériennes ainsi qu'une ventilation mécanique précoce ont un impact positif sur le pronostic des patients. Dans une des rares études comparant l'Amérique du Nord et l'Europe, Schmitt et col., utilisant la méthode TRISS observent que la réanimation préhospitalière réalisée par des médecins allemands diminue le taux de décès précoce chez les polytraumatisés (13) ; de nombreuses autres publications européennes vont dans le même sens. Cependant, cet article démontre que l'effet positif observé est statistiquement lié à la réanimation respiratoire (intubation endotrachéale, ventilation artificielle, décompression à l'aiguille des pneumothorax suffocants). A l'évidence ces gestes sont d'indications plus larges et sont réalisés plus facilement par les médecins allemands en comparaison des " paramedics " américains (15).

5.4. Formation des équipes

Un des facteurs qui rend le plus difficile l'analyse de la pertinence de la réanimation hospitalière des blessés graves est la grande variabilité des compétences et de la formation des intervenants. Ainsi il est bien évident qu'un bénéfice éventuel de la réanimation préhospitalière ne peut être mis en évidence si les personnels chargés de la réaliser sont peu ou pas entraînés. Ce défaut d'entraînement est d'ailleurs favorisé par le " scoop and run " qui empêche les " paramedics " des USA de pratiquer souvent les gestes de réanimation spécialisée (12). De même il pénalise les médecins généralistes, confrontés aux blessés graves comme cela a été montré au Québec (11). A l'inverse, des anesthésistes réanimateurs ou des spécialistes bien entraînés peuvent réaliser dans un temps record des gestes sophistiqués sans risque, comme cela a été montré pour l'intubation (9). Ainsi une étude récente portant sur le drainage thoracique préhospitalier montre l'efficacité de ce geste dans des mains expertes en Allemagne et souligne l'impossibilité de tels protocoles de soins aux USA (15).

5.5 Rapidité du transport et accueil hospitalier

Une des idées force du " scoop and run " est de limiter par tous les moyens le temps s'écoulant entre la survenue du traumatisme et la prise en charge à l'hôpital par le chirurgien. Cette idée découle du concept quasi philosophique de la " Golden hour " qui prône un traitement définitif du blessé en moins d'une heure. Tout temps passé à l'extérieur de l'hôpital est ainsi considéré comme perdu et compromettant le pronostic. Cependant, en général le pronostic statistique des blessés graves est le même, voire meilleur dans un certain sens que celui prévu par les banques de données des USA (10). D'une part le " scoop and run " n'est pas toujours possible. Il n'est pas rare que le polytraumatisé soit incarcéré dans le véhicule à la suite d'un accident de la voie publique, dans ce cas, un temps non négligeable doit être consacré à la désincarcération de cette victime. En dehors des zones à forte densité de population (en milieu urbain), il est possible que l'hôpital ne soit pas à proximité induisant un temps de transport long. L'abstention thérapeutique ne parait pas alors la meilleure solution avant le transport (17). D'autre part, c'est la prise en charge globale, préhospitalière et hospitalière, qu'il faut envisager. Ainsi, il est nécessaire de comparer le temps préhospitalier à celui qui sera utilisé pour atteindre le même niveau de soin à l'hôpital. En effet, un certain nombre de gestes thérapeutiques doivent de toute façon être effectués, avant le traitement chirurgical du patient. En considérant la prise en charge globale du polytraumatisé dans une comparaison entre Paris et le Royaume-Uni, il a été observé que la prise en charge préhospitalière " SAMU " prenait bien sûr plus de temps qu'un transport rapide à l'hôpital type " scoop and run ". Par contre, la réanimation préhospitalière permettait un temps de prise en charge hospitalier pré-opératoire plus court. Le temps passé à l'extérieur de l'hôpital peut être considéré comme étant " investi " pour traiter précocement le patient et non pas " perdu " puisqu'il vient en soustraction du temps de prise en charge à l'arrivée à l'hôpital (16). Cette analyse différentielle des deux composantes du temps de prise en charge est rarement effectuée dans la littérature. Dans les cas où ces données sont accessibles, il est intéressant de noter qu'à la suite d'un transport très rapide vers l'hôpital le temps passé pour la prise en charge hospitalière se révèle particulièrement long. On constate ainsi, que les études où la vitesse de transport est mise en exergue, s'accompagnent d'une phase d'accueil hospitalière très longue, pouvant parfois dépasser 2 heures (1). En fait une stratégie basée sur le " scoop and run " peut par un effet paradoxal être à l'origine même du retard de prise en charge. Un patient transporté au plus vite à l'hôpital le plus proche peut ainsi se retrouver dans un service d'urgence débordé et être pris en charge par une équipe dont la disponibilité est aléatoire. Le bénéfice d'un transport rapide peut être perdu si à l'hôpital le blessé grave est obligé d'attendre faute de prise en charge immédiate ou si la nécessité d'un transfert secondaire survient.

6. CONCLUSION

La réanimation préhospitalière des blessés graves est une spécificité européenne très développée en France. Elle est adaptée aux polytraumatisés mais ne doit pas induire de perte de temps sans bénéfice thérapeutique en cas d'hémorragie ne répondant au remplissage vasculaire. Un traumatisme crânien sévère isolé ou associé à une lésion hémorragique la rend indispensable pour améliorer le pronostic.

BIBLIOGRAPHIE

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