Douleur et Analgésie

Les douleurs chroniques post opératoires. Comment les dépister, comment les éviter, comment les traiter.

 

Gilles LEBUFFE
Jean Michel WATTIER
Clinique d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Huriez, CHRU de Lille

 

 

Déterminer à quel moment une douleur postopératoire devient chronique est un problème difficile et habituellement, la permanence d’une symptomatologie algique dont le siège fait suspecter un lien avec l’intervention, 3 à 6 mois après le geste doit faire évoquer le diagnostic. Il reste pourtant délicat de séparer une origine strictement liée à l’intervention d’une nouvelle évolution de la pathologie qui a justifié le geste. De plus la possibilité d’une douleur en continuité avec un problème préexistant à l’acte chirurgical doit être éliminée. Ces difficultés expliquent en partie la variabilité des chiffres de prévalence des douleurs chroniques postopératoires estimée de 10 à 50% dont 2 à 10% de douleurs sévères (Br J Anaesth 2001; 87: 88-98).

La compréhension des mécanismes physiopathologiques qui sous-tendent la douleur postopératoire immédiate et sa chronicisation, permet d’envisager les améliorations à apporter à la gestion de la douleur périopératoire. Ainsi la réaction inflammatoire locale liée au geste induit une sensibilisation périphérique (nocicepteurs, réflexe d’axone, récepteurs β adrénergiques) et centrale par plasticité synaptique au niveau de la corne dorsale de la moelle. En outre, les lésions nerveuses au site chirurgical favorisent la sensibilisation périphérique avec activité soutenue des neurones présynaptiques entraînant la libération de glutamate qui conduit à l’ouverture des canaux NMDA permettant la pénétration intracellulaire de Ca++. Tous phénomènes, à l’origine d’une plasticité centrale associée au remodelage anatomique lié à la mort cellulaire des neurones lésés qui s’expriment cliniquement par une symptomatologie de type douleur neuropathique. 

Tous les patients ne présentent pas des douleurs chroniques postopératoires mais l’intensité de la douleur postopératoire immédiate pourrait être un facteur prédictif de chronicisation. La reconnaissance de facteurs prédictifs de cette douleur reste un enjeu. Le jeune age, le sexe féminin, l’existence d’une douleur préopératoire, l’intensité de la douleur postopératoire immédiate, l’anxiété, le besoin d’information mais aussi la nature de la chirurgie et la taille de l’incision : Autant de facteurs que Kalkman et al (Pain 2003 : 105 ; 415-423) ont assemblés pour établir un score prédictif de douleur postopératoire. L’augmentation du risque de chronicisation associée à l’existence de douleur neuropathique préopératoire devrait conduire de manière plus systématique à son dépistage par des questionnaires spécifiques (DN4, QDSA abrégé) et la recherche de signes évocateurs neurologiques dans le territoire atteint.

Un certain nombre de données dans la littérature laisse penser qu’une conduite adaptée de l’analgésie péri-opératoire pourrait influencer l’incidence des douleurs chroniques postopératoires. Kehlet et al (Lancet 2006 : 367 ; 1618-1625) soulignent l’intérêt d’une analgésie multimodale. Si le recours aux morphiniques et aux AINS, selon les précautions d’usage, reste une constante de l’analgésie, une méta analyse récente (Can J Anesth 2006 : 53 ; 461-469) rapportent les effets de l’administration préopératoire de gabapentine sur l’épargne morphinique postopératoire et des niveaux de douleur moins importants. La gabapentine module l’entrée du Ca++ des neurones de la corne postérieure de la moelle en agissant sur les sous unités α2δ des canaux calciques. Les blocs nerveux, grâce à une action sur les canaux sodiques diminuent la réponse inflammatoire locale et pourraient ainsi prévenir la sensibilisation centrale tout comme l’utilisation des antagonistes des récepteurs NMDA, en particulier la kétamine.

En conclusion, les douleurs chroniques postopératoires sont un problème encore insuffisamment connu mais fréquent. Avec une symptomatologie volontiers de type neuropathique, une conduite analgésique péri-opératoire adaptée aux mécanismes physiopathologiques suspectés pourrait diminuer l’incidence de la chronicisation.