VENTILATION NON INVASIVE (VNI)

R. Gillet, G. Demeilliers, A. Briel, D. Jusserand, B. Dureuil
Département d’Anesthésie – Réanimation, Hôpital Charles Nicolle
1 rue de Germont, 76031 Rouen Cedex

Tél : 02 32 88 82 83, Fax : 02 32 88 83 26, E-mail : Bertrand.Dureuil@chu-rouen.fr

 

            La ventilation non invasive (VNI) est un concept ancien développé à partir des années 1830 jusqu’à l’épidémie de poliomyélite en 1950 aboutissant aux fameux « poumon d’acier », premier exemple de VNI en pression négative. Cette approche ventilatoire a été rapidement détrônée par la ventilation en pression positive par le biais de la trachéotomie puis de l’intubation endo-trachéale (VEDT).

C’est dans le courant des années 80 que se développe la VNI en pression positive utilisant des masques faciaux ou nasaux comme interface avec les ventilateurs. Elle est appliquée initialement aux syndromes d’hypoventilation alvéolaire et aux pathologies restrictives chroniques (1,2) puis, à partir des années 1990, à l’insuffisance respiratoire aiguë (3) et voit  dès lors son champ d’utilisation s’élargir de manière considérable.

Définition et mise en œuvre de la VNI :

La VNI regroupe l’ensemble des techniques d’assistance ventilatoire prenant en charge tout ou partie du travail respiratoire en l’absence de dispositif endotrachéal afin d’assurer une ventilation alvéolaire satisfaisante. Actuellement, la VNI de loin la plus utilisée est la VNI en pression positive (par la suite le terme VNI sera utilisé pour dénommer la VNI en pression positive).

Les modes ventilatoires applicables en débit ou en pression sont variables, mais les modes assisté-contrôlé (VAC), l’aide inspiratoire (AI) et la BIPAP sont les plus couramment mis en œuvre. La ventilation assistée proportionnelle (PAV) des anglo-saxons pourrait dans l’avenir constituer un mode ventilatoire intéressant (4). En théorie, la ventilation (VS) avec pression expiratoire positive (PEP) ne devrait pas être considérée formellement comme un mode VNI alors qu’elle l’est en pratique.

L’objectif de La VNI est d’assurer un support ventilatoire suppléant en partie ou en totalité, la pompe ventilatoire visant à éviter la VEDT. En effet, la morbidité directe et indirecte de la VNI paraît moindre que cette induite par la VEDT, en réduisant particulier le risque d’infection nosocomiale. Par ailleurs, la VNI peut être considérée en relais de la VEDT dont elle pourrait raccourcir la durée en permettant une extubation plus précoce.

Aspects pratiques de la VNI :

La ventilation non invasive se caractérise par l’instabilité de l’interface patient –ventilateur (masque) et l’existence de fuites aériennes autour du masque ou par la bouche qui, sont quasi constantes. Ceci impose de rechercher une ventilation de compromis qui en minimisant les fuites, permet une ventilation alvéolaire suffisante et assure un confort acceptable pour le patient.

La réalisation pratique de la VNI, autorisant une ventilation discontinue sur 24 heures, suppose des choix qui vont concerner aussi bien le masque (nasal ou facial) que les modes de ventilation et leur réglage. Le mode ventilatoire à appliquer reste actuellement débattu. Cependant, si la VNI doit répondre au compromis ventilation alvéolaire efficace – confort respiratoire acceptable, l’AI devrait constituer le mode ventilatoire de première intention, exception faite peut-être pour les patients les plus sévères pour qui la VAC pourrait être initiée (5). Quoiqu’il en soit à partir de ces choix largement empiriques et en fonction des habitudes des équipes, différents essais devront être réalisés afin d’assurer une ventilation qui sera ajustée de façon optimale en fonction de l’évolution des données cliniques et des résultats de la gazométrie.

Outre le fait que la VNI peut éviter l’intubation et ses complications, ses avantages techniques sont multiples : souplesse d’utilisation (interface, support ventilatoire intermittent, mode de ventilation), autorise l’élocution, l’alimentation et la prise orale des médicaments, toux physiologique conservée voire aidée par les insufflations mécaniques, mobilisation simplifiée, pas de sédation nécessaire, sevrage initié d’emblée par son application intermittente.

Ces avantages ne doivent naturellement pas occulter ses complications et ses principaux inconvénients que sont la tolérance locale du masque et la coopération des patients, les fuites aériennes qui peuvent totalement compromettre l’efficacité de la ventilation, le risque d’apnées prolongées sous masque en particulier en AI, et la charge de travail initiale, souvent plus importante qu’une ventilation conventionnelle pour l’équipe soignante. La présence d’une sonde gastrique, des modifications de la compliance pariétale thoracique peuvent rendre difficile sa mise en œuvre. Les caractéristiques de la VNI supposent une équipe médicale et soignante motivée et expérimentée et imposent nécessairement une surveillance rigoureuse dans des structures adaptées. En effet, un élément crucial sera de poser de manière adéquate l’indication de l’intubation trachéale.

Résultats cliniques de la VNI et indications :

Depuis la publication de Méduri et Coll. (3) en 1989, de nombreuses études ont rapporté l’efficacité de la VNI chez les patients souffrant d’insuffisance respiratoire aiguë hypercapnique et/ou hyperpoxémique. Clairement les indications reconnues de la VNI dans l’insuffisance respiratoire aiguë intéressent presque exclusivement des pathologies médicales. Les problèmes spécifiques rencontrés en Réanimation Chirurgicale seront envisagés dans le chapitre suivant.

3.1. VNI et insuffisance respiratoire aiguë hypercapnique :

Plusieurs études prospectives randomisées ont actuellement bien démontré l’efficacité clinique de la VNI au cours de l’insuffisance respiratoire aiguë (IRA), en particulier hypercapnique (6-8). Ce bénéfice clinique confirmé chez les patients BPCO par une méta-analyse (9), consiste non seulement en une amélioration des échanges gazeux mais également en une diminution du recours à l’intubation dans 50 à 70% des cas, une réduction des complications et de la durée de la ventilation ainsi qu’une diminution de la durée de séjour et de la mortalité chez des patients sélectionnés. Il apparaît que l’hypercapnie au cours de l’IRA est un critère déterminant de la réponse à la VNI (6-8). Les facteurs prédictifs de succès de la VNI à plus ou moins long terme sont de faibles fuites aériennes autour du masque et surtout l’effet positif initial de la VNI sur le mode ventilatoire (fréquence respiratoire, volume courant), et les échanges gazeux (PaCO2, pH) (10).

3.2. VNI et œdème aigu pulmonaire cardiogénique :

En dehors de l’IRA des patients BPCO, l’efficacité de la VNI a été également évaluée au cours de l’œdème aigu du poumon (OAP) cardiogénique. Une méta-analyse récente montre que la VS-PEP a un effet bénéfique modeste en cas d’OAP cardiogénique avec une diminution du taux d’intubation, et des données suggèrent une tendance à la réduction de la mortalité qui n’est toutefois pas significative (11). Les auteurs insistent sur la nécessité de mieux documenter la VNI (AI et VAC) dans ces indications avant d’en proposer l’utilisation extensive. Il faut relever également que la VNI apparaît d’autant plus efficace qu’il existe une hypercapnie sous jacente (12).

3.3. VNI et IRA hypoxémique sur poumons sains :

Des travaux récents portant sur des populations homogènes de patients souffrant d’IRA            hypoxémique (SDRA, pneumopathies), suggèrent que la VNI peut-être intéressante dans cette indication (13,14). Il est possible que la VNI réduise les complications infectieuses et apportent un bénéfice en terme de recours à l’intubation et de durée de séjour en Réanimation. Néanmoins, il faut encore une fois souligner que les patients pour lesquels le bénéfice de la stratégie non invasive est le plus important sont les BPCO pour lesquels est observée une amélioration de la survie à deux mois (13).

3.4. VNI et sevrage de la VEDT :

Le sevrage de la VEDT constitue une phase potentiellement difficile, tout particulièrement chez l’insuffisant respiratoire chronique, qui expose à la prolongation de l’intubation. Lors du sevrage, le passage de la VEDT à la VS se caractérise par une augmentation du travail musculaire respiratoire qui peut conduire dans les cas de sevrage difficile à une fatigue musculaire et à une défaillance de la pompe ventilatoire avec altération des échanges gazeux. Le recours à la VNI lors du sevrage ou en relais d’une extubation difficile, pourrait donc prévenir ou limiter l’apparition des signes de fatigue musculaire et contribuer à la restauration d’un mode ventilatoire efficace.

Deux études prospectives randomisées et récemment publiées comparent le sevrage en VNI au sevrage conventionnel en aide inspiratoire et montrent clairement que la VNI réduit la durée d’intubation sans augmenter le risque d’échec du sevrage (15,16). Il s’agit à l’évidence d’un nouveau champ d’utilisation de cette technique en Réanimation.

4. Place de la VNI en Réanimation Chirurgicale :

 VNI et défaillance respiratoire postopératoire :

De nombreuses publications ont été consacrées aux effets de la VNI (CPAP et Bi-PAP en particulier) sur la fonction respiratoire postopératoire. Le plus souvent il s’agissait de patients subissant une chirurgie réglée et en dehors de toute défaillance respiratoire aiguë (17-20). Dans ces conditions,  les résultats en particulier en terme d’échanges gazeux et de volumes pulmonaires sont assez favorables, mais le bénéfice est souvent limité dans le temps. Néanmoins, chez de patients avec une obésité morbide et bénéficiant d’une gastroplastie, Joris et Coll. (18) ont montré que l’application d’une Bi-PAP (pression positive des voies aériennes inspiratoires et expiratoires réglées à 12 et 4 cm H2O) pendant 24 heures en postopératoire, améliorait, au moins jusqu’à J3 le syndrome restrictif pulmonaire. Il faut noter cependant que la durée d’hospitalisation n’était pas modifiée et qu’aucun des patients de l’étude ne développait d’insuffisance respiratoire postopératoire.

Actuellement, il n’est pas démontré que l’application d’une VNI systématique, prophylactique, même chez les patients à risque respiratoire élevé, réduise le risque de survenue d’une défaillance respiratoire aiguë postopératoire. Par ailleurs, il n’existe aucun travail évaluant l’intérêt de la VNI pour la prise en charge du patient développant une détresse respiratoire postopératoire. De nouvelles études sont donc nécessaires pour préciser la place de la VNI dans l’IRA postopératoire en sachant que sa mise en œuvre est rendue plus complexe en raison de la présence d’une sonde gastrique, de la baisse de la compliance abdominale et thoracique, et de la fréquence des troubles de la conscience.

En pratique, si la VNI prophylactique peut être discutée pour des patients à haut risque respiratoire, sa place indiscutable est représentée par les patients présentant un syndrome d’apnée du sommeil. La reconnaissance de ce syndrome lors de la consultation d’Anesthésie doit conduire à son évaluation en vue de son éventuel appareillage (CPAP le plus souvent). Rennotte et Coll. (21) ont bien montré l’intérêt de cette prise en charge spécifique pour ces patients qui réduit la morbidité respiratoire et permet l’introduction d’une analgésie morphinique efficace avec une excellente marge de sécurité.

Le deuxième grand champ d’application potentiel de la VNI est celui du sevrage de la VEDT (cf. supra). Cette stratégie permettrait une réduction de la durée de l’intubation prolongée en postopératoire mais n’a pas encore été documentée.

 VNI et traumatisme thoracique :

La VNI peut-être proposée en cas de défaillance respiratoire chez un patient traumatisé thoracique (isolé). Les modalités BIPAP ou VS-AI-PEP paraissent adaptées à la prise en charge de ces patients en cas de contusions pulmonaires hypoxiques permettant de passer le cap des 24-48 premières heures. Aucune étude randomisée n’a été publiée mais des évaluations préliminaires et rétrospectives semblent confirmer la faisabilité de cette modalité ventilatoire chez le traumatisé thoracique. Il est possible que la gravité de la défaillance respiratoire des patients étudiés soit modérée et ces résultats devront être confirmés (22,23).

Conclusion :

La VNI apparaît comme une méthode qui élargit l’arsenal thérapeutique du réanimateur. Sa place en Réanimation Chirurgicale est probablement plus modeste qu’en Réanimation Médicale mais elle a un rôle à jouer incontestablement dès à présent dans la prise en charge postopératoire  des patients présentant un syndrome d’apnée du sommeil, en relais de la VEDT chez certains patients difficiles à sevrer, et probablement chez les traumatisés thoraciques. D’autres indications seront à préciser dans les prochaines années.

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