Les Transfusions massives Organisation et Complications

Dr Anne Pascale FORGET, Dany FARDEL (IADE)

Service d'accueil des Urgences CHRU Lille


 Définition :

La transfusion massive se définit comme le remplacement du volume sanguin total du patient en moins de 24 heures ou comme l'administration aiguë d'une fois et demie au moins le volume sanguin estimé (environ 80 ml/kg de poids corporel).

 

Introduction :

Les circonstances de survenue d'une hémorragie aiguë nécessitant une transfusion massive sont variables :

• urgences chirurgicales : la prise en charge préopératoire se poursuit au bloc.

• saignement prévisible ou non au cours d'une chirurgie majeure ou non.

Quelle que soit la situation, une réponse rapide et efficace est nécessaire. Ainsi, chaque anesthésiste et chaque infirmier anesthésiste doit connaître la conduite à tenir et son rôle afin qu'une "machine de guerre" complexe se mette en place autour du malade afin de faire face à l'hémorragie aiguë.

 Plan :

Que doit-on savoir sur les hémorragies aiguës et la transfusion massive?

Que faire devant une hémorragie aiguë grave?

Comment être toujours prêt ?

Rappels physiologiques et physiopathologiques :

A. Définition de seuils critiques :

L'hémorragie aiguë s'accompagne d'une perte de plasma, de globules rouges, de facteurs de la coagulation, de protéines... La compensation d'une hémorragie aiguë va devoir prendre en compte toutes ces pertes. L'objectif prioritaire de la réanimation sera de maintenir ces différents constituants à des taux supérieurs aux taux dits "critiques" : Un taux critique peut se définir comme le taux le plus bas qui peut être toléré par l’organisme sans engendrer de dysfonction d’organe. Ces seuils sont précisés dans le tableau 1.

 

• Rappels sur le transport de l'oxygène : Seuils critiques de volémie et d'hématocrite.

Le transport en oxygène (DO2) dépend du débit cardiaque (Qc) et de la quantité d'oxygène présente dans le sang (CaO2) :

DO2 = Qc x CaO2

CaO2 = [Hb (g/dl) x SaO2 (%) x 1,34 ]+[ 0,003 x PaO2]

Oxygène fixé à l'Hémoglobine Oxygène dissous

Ainsi, plus de 98% de l'oxygène est présent dans le sang sous forme liée à l'hémoglobine (Hb). Les capacités de transport d'O2 par le sang dépendent donc, en premier lieu, de la concentration de l'Hb. Une chute de l’Hb ou de l’hématocrite (Ht) va induire une diminution proportionnelle du transport de l’oxygène et risque d'entraîner une hypoxie tissulaire.

 

L'oxygénation tissulaire est l'objectif prioritaire : il faut maintenir avant tout, le transport artériel en oxygène. Pour exemple, au cours des anémies chroniques, l'organisme va spontanément augmenter son débit cardiaque afin de maintenir la DO2 constante. En situation aiguë, cette augmentation de débit cardiaque ne sera possible que si la volémie a été maintenue.

 

 

Ainsi, la physiologie nous indique qu'en cas d'hémorragie :

• Le transport de l'oxygène ne peut être maintenu s'il existe une hypovolémie. Celle-ci interdit l'adaptation de l'organisme à une anémie aussi minime soit-elle. La première priorité sera donc le remplissage.

• Le transport de l'oxygène sera altéré s'il existe une hypoxémie. Une diminution de la SaO2 indiquera qu'en plus d'un manque de transporteur, le transport se fera à vide. La deuxième priorité sera donc l'oxygénation.

• Si la volémie est maintenue, l'organisme va pouvoir tolérer un certain niveau d'anémie : ce niveau est définit par la valeur critique de l'Hb ou de l'Ht la plus basse pouvant être tolérée sans altération de l'oxygénation tissulaire. On considère habituellement que le degré d'anémie pouvant être toléré est voisin de 10 g/dl d'Hb ou de 30% d'Ht (pour information complémentaire : conférence de consensus "les apports d'érythrocytes pour la compensation des pertes sanguines en chirurgie de l'adulte", SFAR, Décembre 1993).

 

• Rappels physiopathologiques sur l'hémostase : seuils critiques de plaquettes, de facteurs de coagulation et de fibrinogène.

La coagulation du sang requiert la présence de facteurs de coagulation et de plaquettes. Différents facteurs contribuent à l'apparition de troubles de la coagulation au cours des hémorragies aiguës :

- Le saignement implique une perte de plaquettes et de facteurs de la coagulation.

- L'administration de grandes quantités de concentrés érythrocytaires associés à des cristalloïdes, des colloïdes ou des amidons entraîne une dilution des facteurs de coagulation.

- Indépendamment, il peut exister d'autres anomalies de la coagulation : CIVD, troubles de la coagulation au cours des insuffisances hépato-cellulaires...

 

L'apparition d'une coagulopathie au cours des hémorragies aiguës est une cause importante de majoration du saignement et est responsable d'une augmentation de la mortalité des patients. Ainsi, on considère habituellement qu'un taux critique minimal de 50000 plaquettes, de 30% de facteurs et de 1 g de fibrinogène doit être maintenue.

 

• Rappels physiologiques sur la pression oncotique : Seuils critiques de protidémie et d'albuminémie.

La pression oncotique, développée par les protéines du plasma, permet l'attraction de l'eau depuis le secteur interstitiel vers le secteur vasculaire. Ainsi, une diminution importante de la pression oncotique pourra se compliquer d'un oedème interstitiel périphérique et d'un oedème pulmonaire. On considère habituellement que le taux minimal pouvant être toléré est voisin de 20 g/l d'albuminémie et de 35 g/l de protidémie (pour informations complémentaires : conférence de consensus "Utilisation des solutions d'albumine humaine en anesthésie-réanimation chirurgicale de l'adulte", SFAR, Décembre 1995).

 

Tableau I : Taux minimaux tolérables pour chaque constituant du sang au cours des hémorragies aiguës et % pertes volémiques tolérable avant compensation.

Facteurs

Taux minimal tolérable

(valeur absolue)

Pertes maximales tolérables avant compensation

(% de masse volémique)

Exemple :
ASA 1
Poids 75 Kg
Masse volémique
˜ 6000 ml

Volémie

100 %

˜ 0 %

˜ 0 ml

Hématocrite

30 %

˜ 20 %

˜ 1200 ml

Hémoglobine

10 (g/dl)

˜ 20 %

˜ 1200 ml

Protidémie

35 (g/l)

˜ 75 %

˜ 4500 ml

Albuminémie

20 (g/l)

˜ 75 %

˜ 4500 ml

Facteur VII et V

30 %

100 à 150 %

6000 à 9000 ml

Fibrinogène

1 (g/l)

150 %

6000 à 9000 ml

Plaquettes

50 (G/l)

150 %

6000 à 9000 ml

 

B. Complications de la transfusion massive :

• Hypothermie : Le sang étant conservé à 4°C, son réchauffement nécessite une énergie importante responsable d'une demande métabolique pour le patient. Administré massivement sans réchauffement, la transfusion massive va entraîner, chez le patient une hypothermie délétère :

- diminution du métabolisme hépatique

- augmentation du risque d'acidose

- aggravation des troubles de la coagulation

- favorise les troubles du rythme cardiaque

 

• Complications pulmonaires :

La transfusion massive peut se compliquer d'oedème pulmonaire. Plusieurs mécanismes ont été impliqués : oedème pulmonaire cardiogénique, altération de la membrane alvéolocapillaire par les médiateurs du choc, micro-agrégats leucoplaquettaires, cause immunologique...

 

• Variation de la kaliémie :

La concentration en potassium des poches de concentrés globulaires augmente proportionnellement à leur durée de conservation. Elle atteint pour atteindre, en moyenne, 30 meq/l vers la troisième semaine. L'hyperkaliémie observée lors des transfusions massives est le plus souvent transitoire mais peut devenir préoccupante en cas d'association avec une acidose, ou une anurie.

 

• Variation de la calcémie :

L'hypocalcémie est la conséquence de la chélation du calcium par le citrate utilisé comme anticoagulant lors du prélèvement. Grâce aux nouvelles techniques de séparation du sang, la concentration de citrates est devenue minime dans les culots globulaires. Pour leur part, les plasmas frais congelés contiennent une faible quantité de citrates. Ainsi, la chélation du calcium par le citrate ne devient gênante que si le métabolisme du citrate est fortement perturbé par des altérations hépatiques. L'apport de calcium au cours de la transfusion massive n'est donc plus nécessaire dans la grande majorité des cas.

 

• Trouble de l'équilibre acide-base :

Le sang conservé sur citrate est riche en acide. Ainsi, la transfusion massive peut aggraver une acidose métabolique préexistante.

 

• Affinité élevée de l'hémoglobine pour l'oxygène :

Rappelons que la possibilité d'extraction de l'oxygène au niveau tissulaire dépend principalement de l'affinité de l'hémoglobine pour l'oxygène : plus elle sera élevée, plus le tissu aura du mal à l'extraire et à l'utiliser. Les modalités de conservation des culots globulaires sont responsables d'une augmentation de l'affinité de l'hémoglobine pour l'oxygène qui serait susceptible d'altérer la diffusion de l'oxygène vers les tissus.

 

 Comment faire face à une hémorragie massive inattendue :

 

A. CONDUITE A TENIR

 

1. Diagnostiquer l'hémorragie : M

Le diagnostic est le plus souvent évident devant l'apparition de signes d'hypovolémie (tachycardie, hypotension artérielle, chute de la pression télé-expiratoire de CO2, baisse de la pression veineuse centrale, pâleur conjonctivale), et l'extériorisation d'un saignement dans le champ opératoire.

 

2. Appeler à l'aide ) :

 

L'ensemble des actions à mener sont décrites dans les lignes suivantes. Il va falloir en quelques minutes, administrer une grande quantité de solutés au patient, installer un ensemble d'appareils autour de lui, poser des voies veineuses, commander, aller chercher et compatibiliser des culots globulaires... Ainsi, la première règle au cours des hémorragies massives est indiscutablement d'appeler au secours.

 

TRANSFUSION MASSIVE = PERSONNES EN NOMBRE SUFFISANT

 

3. Avant les renforts 6 :

 

PRIORITE N°1 : MAINTENIR LA VOLÉMIE:

Débuter un remplissage vasculaire rapide

Pour ce faire, il faut immédiatement,

 

• Multiplier les voies veineuses périphériques de gros calibre :

Pour assurer un remplissage rapide, il faut, avant tout, avoir ou poser des voies d'abord de bon calibre. Selon la loi de Poiseuille, le débit de perfusion dans un tuyau est directement proportionnel à la puissance 4eme de rayon du cathéter et inversement proportionnel à la longueur du tuyau. Ainsi, des cathéters courts de 14 ou 16G permettent des débits de perfusion importants.

 

• Mettre d'emblée en place des dispositifs d'accélération de transfusion : "blood pump"

L'écoulement du sang sous l'effet de la seule gravité ne permet pas d'atteindre des débits notables. A ce stade initial de la prise en charge d'une hémorragie aiguë, l'installation de tubulures type "blood pump®" avec bulbe à compression manuelle et valve antiretour prend peu de temps et est très efficace.

 

• Débuter le remplissage par cristalloïdes, gélatines ou amidons. 

 

4. Après l'arrivée des renforts :

PRIORITE N°2 :

COORDINATION ET ORGANISATION

 

Organisation :

Beaucoup de soins doivent être mis en place simultanément autour du patient. Chaque intervenant doit recevoir une mission, s'y cantonner et doit la mener à bien. Un coordinateur, en général le médecin anesthésiste, attribuera les taches à chacun et pourra ainsi s'assurer que l'ensemble des procédures sont réalisées. Il pourra ainsi en dirigeant chaque intervenant adapter au mieux les traitements à l'état du patient. L'ensemble des taches sont reproduites dans la figure 1.

 

  1. Limiter le saignement :
  2. En dehors du bloc opératoire, certains gestes simples peuvent contribuer à diminuer une hémorragie : point de compression, mise en place d'un garrot pneumatique ou d'un pantalon anti-G. Si l'hémorragie ne peut être contrôlée que chirurgicalement, il faut installer le patient au bloc opératoire le plus vite possible sans perte de temps inutile (la mise en condition du patient pourra être réalisée directement sur table).

    Au bloc opératoire, le chirurgien assure l'hémostase le plus vite possible. Le dialogue entre l'équipe chirurgicale et l'équipe anesthésique doit être clair permettant au chirurgien de connaître la tolérance du patient et à l'anesthésiste l'évolution du saignement et son caractère contrôlable ou non.

  3. Installation de réchauffeurs :

 

Une étude a clairement mis en évidence l'importance du réchauffement du sang : pour des volumes transfusés à des vitesses comparables (>100ml/min) et pour un volume total transfusé comparable (>12 l), le réchauffement du sang permettait d'observer une diminution de la mortalité de 100% à 50% [Boyan, 1966]. Ainsi, l'installation de systèmes de réchauffement doit être faites le plus précocement possible. Ils sont indispensables en cas d'utilisation d'accélérateur de transfusion. Les différentes méthodes utilisables sont :

• Réchauffeur à chaleur humide : il se compose d'une tubulure en serpentin plongé dans un bain marie d'eau chaude.

• Réchauffeur à chaleur sèche : la tubulure d'une grande longueur (> 3m) et d'un volume de 55 ml est moulée dans un sac en matière plastique prêt à l'usage et qui est maintenu entre deux plaques chauffantes. La longueur importante de la tubulure explique une augmentation importante de la résistance à l'écoulement. Ex : Fenwall (Travenol®)

• Réchauffeur à échangeur thermique à contre-courant : Le réchauffement est effectué, lors du passage du sang dans l'échangeur thermique en aluminium par un bain d'eau chaude circulant à contre courant. L'ensemble de la tubulure est gainée permettant un réchauffement continu jusqu'au cathéter veineux. La déperdition en chaleur et les résistances à l'écoulement sont ainsi minimales. Ex : Level One (Granulab®).

NB : Le réchauffement direct du culot globulaire doit être actuellement abandonné vu les risques d'hémolyse.

 

c. Installation d'accélérateur(s) de la transfusion :

 

Différentes méthodes sont ici utilisables :

- Utilisation tubulures type "blood pump®" avec bulbe à compression manuelle et valve antiretour.

- Utilisation de manchons sous pression à gonflage manuel qui permettent pratiquement de tripler le débit obtenu par simple gravité. Néanmoins, les manipulations et le temps de gonflage de la poche limitent considérablement l'intérêt de cette technique.

- Utilisation de chambres à pression à gonflage automatique : ce système comprime les poches de solutés assurant une pression motrice importante. Il permet l'administration de 2000 ml de Ringer Lactate en environ 3 minutes.

 

 - Utilisation de pompes à galets : de nombreuses pompes sont disponibles sur le marché. Elles présentent les mêmes avantages que les chambres à pression.

 

Le risque majeur lié à la perfusion de solutés à haut débit et donc l'utilisation de hautes pressions motrices est l'embolie gazeuse. Ce risque majeur impose la présence de détecteurs de bulles et d'alarmes sur l'accélérateur à type de coupe-circuit. En pratique, l'utilisation de ce type d'appareil mobilise une personne à 100% pour veiller au bon fonctionnement de la machine et au changement des poches de perfusat.

 

d. Administrer des concentrés érythrocytaires :

 

Dés la perte de 20% de la masse volémique, des concentrés érythrocytaires doivent être administrés. Au cours des hémorragies aiguës, l'administration de produits sanguins va poser d'importants problèmes d'organisation. En pratique, elle va occuper à temps plein deux à trois personnes. Il convient sans délai :

- contacter la banque du sang : elle doit être avertie de l'urgence afin de fournir les produits sanguins en priorité, sans attendre le groupe et les RAI le cas échéant.

- organiser la commande de sang et réaliser si cela est possible les examens prétransfusionnels nécessaires.

- assurer l'acheminement de la demande et des produits sanguins le plus rapidement possible. Le plus souvent, lorsqu'il existe une banque de sang, il est utile de dépêcher un membre du personnel pour ces missions.

- Réalisation du contrôle ultime ABO du groupe du patient et de chaque culot. Il est utile de dégager un espace pour la réalisation de ces contrôles.

- Administrer les culots globulaires.

 

e. Récupération du saignement et autotransfusion :

 

Une autotransfusion peut être envisagée à condition qu'il n'existe pas de risque de contamination septique du saignement (ouverture tube digestif par ex.) et qu'il n'existe pas de risque carcinologique.

 

 

Plusieurs méthodes sont utilisables :

- Récupération du sang dans des poches citratées et réadministration du sang total. Il est alors indispensable de filtrer le sang avant sa réadministration. L'utilisation d'une telle technique est en général vite insuffisante et ne permet pas de traiter dans de bonnes conditions une hémorragie aiguë abondante.

- Utilisation d'appareils de type Cell-Saver. Ces appareils permettent l'aspiration du sang en assurant son anticoagulation, le lavage des éléments cellulaires avec élimination du plasma et enfin la concentration des érythrocytes sous la forme d'un culot globulaire. L'hématocrite moyen mesurable dans la poche avant restitution est voisin de 70 %.

Les performances techniques et la présentation de ces appareils sont variables d'une marque à l'autre. Au maximum, l'utilisation d'un Cell-Saver permet la restitution de 190 ml/min de concentré globulaire. Ainsi, leur utilisation permet une diminution de la transfusion autologue. Sur le plan financier, le coût des culots globulaires est tel que l'utilisation d'un Cell-Saver est rentable si l'on économise un seul globulaire.

 

f. Réanimation et anesthésie :

 

La réanimation de l'état de choc hémorragique peut imposer la mise en route de différents traitements spécifiques que nous ne détaillerons pas ici (drogues vasoactives...). Enfin, un geste chirurgical étant soit en cours, soit indiqué, une anesthésie doit le plus souvent être réalisée dans ce contexte. Les anesthésiques les moins dépresseurs du système cardio-vasculaire devront être choisis.

 

g. Mise en place du monitorage :

 

La gravité des patients présentant un état de choc hémorragique justifie le plus souvent de la mise en place d'un monitoring important. Outre le monitoring classique, la mesure de la pression artérielle invasive est souvent nécessaire. Le plus souvent, elle est obtenue grâce à la pose d'un cathéter dans l'artère radiale. La pose d'un cathéter veineux central permet la surveillance de la pression veineuse centrale (PVC). Sa mise en place doit être systématique dans les hémorragies aiguës afin de guider le remplissage mais ne doit pas retarder le geste chirurgical d'hémostase nécessaire. La mesure du débit cardiaque peut être indiquée dans un second temps chez les patients graves ayant présenté un choc hémorragique prolongé ou chez les patients ayant des antécédents cardio-pulmonaires.

 

B. STRATEGIE TRANSFUSIONNELLE

AU COURS DES HEMORRAGIES AIGUES

 

En l'absence de dosage continu des différents constituants du sang au cours des hémorragies aiguës, une conduite probabiliste devra être appliquée pour décider des temps de transfusion des différents dérivés sanguins et de leurs quantités. L'objectif est de maintenir un taux minimal dit "critique" de chaque constituant afin de ne pas générer de dysfonctions d'organes.

 

 

• Quels dérivés sanguins pour compenser les pertes?

Les produits à utiliser sont bien connus. La compensation des pertes en érythrocytes est réalisée grâce à des concentrés érythrocytaires. Les pertes en protides sont compensées par de l'albumine à 4 ou à 20%. Les pertes en facteurs de coagulation sont compensées par l'administration de plasmas frais congelés (1 ml contient environ 1 unité de chaque facteur). L'utilisation de PPSB (Kaskadil®) doit être formellement proscrite pour deux raisons : le PPSB contient des facteurs activés susceptibles d'induire une CIVD et ne contient que les facteurs de coagulation vitamino-K dépendants (II, VII, IX, X). Le PPSB ne permet donc pas de restaurer l'ensemble de la cascade de la coagulation. Enfin, la thrombopénie est traitée par l'administration de concentrés plaquettaires.

 

• Evaluation empirique des besoins transfusionnels :

La diminution de la quantité des différents constituants du sang dans l'organisme est proportionnelle aux pertes, c'est à dire au volume du saignement. La volémie étant maintenue constante, la concentration de chaque constituant sera proportionnelle au volume de sang échangé. La relation entre le renouvellement du sang et la quantité transfusée est connue (tableau II) :

 

Tableau II :

 

Quantité transfusée

% de sang renouvelé

 
 

1/2 masse

30-40%

 
 

1 masse

60%

 
 

2 masses

80%

 
 

3 masses

> 90%

 

Au cours des hémorragies aiguës, il faut faire, en fonction de l'abondance de l'hémorragie, un choix et une répartition des moyens destinés à maintenir la volémie, l'hémoglobine, la pression oncotique, les facteurs de coagulation et les plaquettes à des taux suffisants pour assurer l'homéostasie du patient. Le schéma classique de Lundsgaard permet d'évaluer empiriquement les besoins du patient en fonction de l'abondance de l'hémorragie (figure 2).

 

 

Figure 2 : Compensation de hémorragie : Adaptation du schéma de Lundsgaard.

 

Partant d'une valeur connue ou présumée d'un paramètre avant l'hémorragie, le volume perfusé permet de prédire la valeur actuelle du paramètre quel qu'il soit. Par exemple, chez un patient ayant une Hb de 13 g/dl, un seuil de 10 g/dl doit être maintenu. On tolère donc que ce paramètre baisse de 21%. Ce taux de 21% correspond à une perte de 20% du volume sanguin théorique (compensée par un remplissage équivalent). Il faudra donc administrer des culots globulaires dés que 20% du volume sanguin théorique a été administré pour maintenir l'Hb à 10 g/dl.

 

 

C. SURVEILLANCE ET ADAPTATION DES TRAITEMENTS

 

Au cours des hémorragies aiguës, la compensation des pertes sanguines est empirique. Ainsi, nous ne connaissons en général pas la volémie, la quantité exacte de sang perdu et nous ne pouvons pas prédire l'efficacité des transfusions réalisées. Il est donc particulièrement important de faire une surveillance clinique, paraclinique et biologique très attentive afin de :

- évaluer la tolérance du patient

- évaluer l'efficacité des transfusions (numération, coagulation...)

- évaluer les conséquences de l'état de choc (gaz du sang...)

Cette surveillance permettra d'adapter la thérapeutique à l'état du patient. L'utilisation d'un appareil permettant la mesure de l'Hb et de l'Ht (type Hémocue®) est particulièrement intéressante.

 

 

EN PRATIQUE :
MOYENS NECESSAIRES POUR LA TRANSFUSION MASSIVE

 

Comme on l'a vu la prise en charge d'une hémorragie aiguë justifiant une transfusion massive, va impliquer la présence d'un personnel suffisant, d'un matériel important en bon état de fonctionnement et une bonne coordination entre les acteurs.

 

Moyens humains :

idéalement, le nombre d'acteurs nécessaire est au minimum de 6 :

• Un médecin coordinateur. Il assure l'interaction entre les différents acteurs, la mise en place du monitorage invasif et la réanimation.

• Un pour l'hémovigilance (compatibilisation des culots globulaires, traçabilité). Il pourra faire le recueil des paramètres de surveillance.

• Un pour le recueil et traitement du sang par Cell-Saver.

• Deux pour la pose des accès veineux et artériels, l'installation et la surveillance des réchauffeurs de solutés et des accélérateurs de la transfusion. Ils assurent l'administration des solutés et dérivés sanguins.

• Une personne qui sert d'intermédiaire avec le centre de transfusion.

 

Moyens matériels :

• Bloc opératoire disponible pourvu d'un équipement classique pour l'anesthésie

• Pantalon anti-G, garrot pneumatique

• Blood-Pump®

• Réchauffeur(s) de solutés (avec les consommables adaptés)

• Accélérateurs de la transfusion (avec les consommables adaptés)

• Appareil d'autotransfusion de type Cell-Saver (si possible) (avec les consommables adaptés)

• Appareil de mesure de l'hémoglobine type Hemocue (si possible)

• Patins à roulettes pour aller chercher les culots globulaires

• Transfuseurs et filtres à sang

• Cartes PTU

• Feuilles de commande des produits sanguins

• Appareil permettant le monitorage hémodynamique invasif

• Matériel nécessaire pour la pose d'un cathéter artériel et la mesure de la pression artérielle.

• Matériel nécessaire pour la pose d'un cathéter veineux central et la mesure de la PVC.

 

 

Moyens organisationnels :

• Etablir des protocoles entre la banque du sang et l'unité de soins afin que le délai d'obtention des dérivés sanguins soit minimal. Ces protocoles doivent être largement diffusés et connus de tous.

• Formation des acteurs de la transfusion massive afin que chacun connaisse parfaitement le matériel à utiliser et son rôle propre.

 

LA TRANSFUSION MASSIVE AUX URGENCES CHIRURGICALES

 

A TOUJOURS PRETS A

 

Situation : Service d'Urgences chirurgicales de l'hôpital Roger Salengro, CHRU de Lille.

 

Contexte : - en moyenne une transfusion massive par semaine.

 

Etiologies : - chirurgie hémorragique non réglée non traumatique (anévrisme rompu de l'aorte abdominale +++)

- chirurgie hémorragique traumatique (lésion organes pleins thoraciques ou abdominaux, plaies de gros vaisseaux)

 

Existence de procédures de mise en alerte :

 

Quand ? • En cas d'annonce par le SAMU de l'arrivée d'un patient instable susceptible de justifier une transfusion massive.

• En cas de présomption de risque hémorragique majeur chez un patient devant être opéré en urgence.

 

Comment ?

• Un IADE est détaché pour préparer l'ensemble du matériel nécessaire au déchocage et au bloc opératoire

• La commande de concentrés érythrocytaires est anticipée.

 

Moyens présents dans le service :

 

• Un bloc opératoire disponible 24h/24.

• Un chirurgien sur place et une équipe de bloc opératoire.

• Un anesthésiste-réanimateur.

• Un infirmier anesthésiste présent 24h/24. Cet IADE est un permanent du service qui connaît parfaitement le matériel présent aux urgences. Il peut mettre en place rapidement le dispositif nécessaire à la transfusion massive et joue un rôle de "référent matériel" pour les équipes de garde.

 

 

Organisation pratique pour la prise en charge des hémorragies aiguës :

Il est évidemment impossible d'équiper chaque bloc de tout le matériel nécessaire pour prendre en charge une hémorragie aiguë. Or, rassembler l'ensemble du matériel nécessaire pour faire face à une transfusion massive peut prendre un temps considérable et être préjudiciable pour le patient.

 

Notre solution :

le chariot mobile de transfusion massive

 

Il contient :

• Kits de consommables pour les accélérateurs de transfusion

• Kits pour les réchauffeurs

• Kit pour l'appareil d'autotransfusion (Cell-Saver)

• Kit pour la mesure de pressions invasives (PVC et PA)

• Blood-Pump

• Un classeur contenant : des formulaires de demande de bilans sanguins

des formulaires de commande de produits sanguins

des dossiers transfusionnels

les procédures de commande des dérivés sanguins en urgence

le protocole d'utilisation du Cell-Saver

• Nécessaire pour la réalisation d'un bilan sanguin

• Nécessaire pour le contrôle prétransfusionnel ultime (carte PTU)

• Filtres à sang et transfuseurs

• Appareil portable de mesure de l'hémoglobine (Hemocue®)

• Médicaments : adrénaline, bicarbonate, chlorure de calcium

Les appareils de type Cell-Saver, réchauffeurs, accélérateurs de transfusion sont regroupés à l'entrée du bloc avec le chariot mobile de transfusion massive.

 

Avantages : regroupement de tout le matériel permettant un gain de temps en cas d'urgence.

 

Inconvénients : maintenance et vérification quotidienne et après chaque utilisation (environ 20 minutes par jour).

 

 Conclusion :

 

 

Hémorragie aiguë = Lutte contre le temps

Activation d'une organisation préétablie

Réponse rapide :

la transfusion massive Etre toujours prêt

les hommes et le matériel