Titre

Place actuelle des solutés de remplissage hypertoniques

Auteur

François SZTARK

Département d'Anesthésie Réanimation I
Hôpital Pellegrin, CHU Bordeaux

    L'utilisation des solutés hypertoniques est déjà ancienne. Depuis une vingtaine d'années, leurs effets potentiels ont suscité de nombreux travaux expérimentaux et cliniques. Les résultats de ces différentes études en ont fait une thérapeutique nouvelle du choc hémorragique, à l'origine du concept de "réanimation à faible volume" (small-volume resuscitation). L'administration d'un faible volume d'une solution hypertonique permet de corriger rapidement un choc hypovolémique, tant chez l'animal que chez l'homme. Si le choc hémorragique reste la principale indication de ces solutions, elles ont été également proposées dans des situations cliniques aussi variées que l'hypertension intracrânienne, le choc septique, la réanimation postopératoire ou chez les brûlés.

            Un soluté hypertonique correspond à une solution hyperosmotique, c'est à dire dont l'osmolalité est supérieure à celle du plasma (300 mOsm.kg-l environ) et dont l'espace de diffusion est limité au compartiment extracellulaire. Les solutions hyperosmotiques peuvent être salées (chlorure de sodium, lactate de sodium par exemple) ou non (glucose, urée par exemple). Parmi les solutions salées hypertoniques (SSH), la solution de chlorure de sodium hypertonique (CSH) a été la plus étudiée et reste le soluté de référence [1].

EFFETS HÉMODYNAMIQUES DES SSH

Les mécanismes d'action des SSH ne sont pas encore totalement compris et les trois axes de l'hémodynamique générale, à savoir la précharge, la postcharge et l'inotropisme, sont des cibles potentielles pour ces solutions [2] :

            - L'amélioration des conditions de remplissage du ventricule gauche est l'un des principaux effets des SSH au cours du choc hypovolémique. Le remplissage vasculaire est expliqué par un effet osmotique avec un transfert d'eau intra- et extracellulaire vers le compartiment vasculaire. Chez le sujet sain anesthésié, la perfusion de SSH augmente de façon significative la surface télédiastolique du ventricule gauche, témoin de l'amélioration de la précharge. A cet effet de remplissage vasculaire transitoire s'ajoute une vasoconstriction réflexe (territoire musculocutané et veineux) qui explique les bénéfices obtenus à moyen terme.

            - La diminution des résistances vasculaires périphériques et l'amélioration de la microcirculation tissulaire ont été montrées sur différents modèles expérimentaux. Les SSH entraînent une chute des résistances vasculaires systémiques (RVS) et diminuent ainsi la postcharge. Ces effets sont dépendants de la vitesse d'injection et lors d'une administration rapide en bolus, une hypotension aiguë peut être observée. Chez le chien, elle est expliquée par la diminution brutale des RVS et non par une dysfonction myocardique ; l'hypotension artérielle est en effet contemporaine d'une augmentation du débit cardiaque, du débit coronaire et de la contractilité myocardique. Cette diminution des RVS est expliquée en grande partie par une vasodilatation précapillaire dans plusieurs territoires (splanchnique, rénal et coronaire). Cette vasodilatation n'est pas spécifique de l'ion sodium et semble liée à l'hypertonicité même de la solution.

            - En revanche, les effets des SSH sur la contractilité myocardique restent encore controversés. Chez l'homme, en situation normovolémique, un effet faiblement inotrope positif peut être mis en évidence, mais dont les conséquences cliniques sont discutables. L'effet inotrope positif des SSH serait la résultante de trois effets élémentaires dont l'effet global est variable selon l’espèce animale étudiée : (i) un effet inotrope positif lié à l'hyperosmolarité de la solution et fonction de l'espèce, (ii) un effet inotrope positif inhibable par l'amiloride qui serait médié par l'échangeur Na+-Ca2+ et (iii) un effet inotrope négatif encore mal connu.

UTILISATION ET INDICATIONS POTENTIELLES DES SSH

Différentes concentrations de CSH ont été étudiées ; les solutions à 7,2 ou 7,5 % (2 400 ou 2 500 mOsmol.L-1) semblent correspondre à des concentrations optimales. Le remplacement de l'ion chlore par un ion lactate ou acétate, dans le but initial d'éviter l'acidose hyperchlorémique, a fait l'objet de plusieurs études, mais l'avantage de ces solutions n'est pas encore démontré [3, 4]. L'inconvénient majeur du CSH est en fait sa courte durée d'action et son association à une solution de colloïdes, dextran ou hydroxyéthylamidon (HEA) a été proposée afin de prolonger la durée de l'expansion plasmatique. La réanimation du choc hypovolémique en traumatologie constitue la principale indication des SSH. Mais les propriétés des SSH sont potentiellement intéressantes dans de nombreuses situations en anesthésie et en réanimation.

            Choc hémorragique

            Huit études contrôlées ont comparé en traumatologie le CSH (250 mL à 7,5 %) seul ou associé à un dextran (SHD) à un soluté isotonique [5-12]. Les SSH permettent une diminution des besoins en cristalloïdes ou en dérivés sanguins et corrigent plus rapidement la baisse de pression artérielle. En revanche, les taux globaux de mortalité dans les différents groupes ne sont pas différents. Une amélioration significative de la survie est cependant obtenue dans certains sous-groupes de patients : traumatisés nécessitant une intervention chirurgicale en urgence, traumatisés crâniens avec un score de Glascow inférieur à 8. Enfin, l'étude de Wade basée sur l'analyse des dossiers individuels de 6 des 8 études précédentes avec des critères de sélection stricts montre, sur 604 patients, une amélioration significative de la survie à 30 jours pour les blessés ayant reçu du SHD (odd ratio à 1,5) [13].

            Traumatisme crânien

            Les deux principales actions des SSH sur le cerveau sont (i) un effet osmotique lié à l'hyperosmolarité des solutions et à la faible perméabilité de la barrière hémato-méningée à l'ion sodium et (ii) une amélioration du flux sanguin cérébral et de la microcirculation. Les SSH ont ainsi été proposées dans la réanimation du traumatisé crânien en état de choc et lors de poussées d'hypertension intracrânienne réfractaires aux traitements habituels. La méta-analyse de Wade concernant les traumatisés crâniens avec un collectif de 223 patients montre un effet bénéfique du SHD sur la survie à 30 jours (odd ratio à 2,1) [14]. Les études animales ont confirmé que les SSH à concentration équiosmolaire était aussi efficace que le mannitol dans la réduction de l'œdème cérébral et de la pression intracrânienne. Chez l'homme, les publications sont encore limitées avec des effectifs très réduits et des études multicentriques randomisées seront nécessaires pour préciser la place exacte des SSH dans l'arsenal thérapeutique du traumatisme crânien [15].

Indications en anesthésie

            Le CSH a été utilisé au cours de l'hémodilution normovolémique où un même niveau de dilution est atteint avec un volume perfusé quatre fois moindre par rapport à une solution d'HEA. En chirurgie cardiaque, les SSH améliorent significativement la microcirculation tissulaire avant, pendant et après la CEC. Lors du remplissage vasculaire en postopératoire (chirurgie de la valve mitrale), les SSH (CSH 7,2  % seul ou associé à un HEA) sont très efficaces, avec une augmentation de la précharge et de la fraction d'éjection du ventricule gauche ; mais ces effets restent transitoires (durée inférieure à trois heures) et l'association du CSH à un colloïde ne les prolonge pas [16]. Les SSH pourraient être aussi intéressantes dans la prévention de l'hypovolémie relative induite par l'anesthésie rachidienne [17].

  Indications en réanimation

            Les SSH ont été utilisées lors de la réanimation des brûlés [18-20]. Expérimentalement, les SSH permettent une restauration rapide du débit cardiaque et une amélioration des débits régionaux. L'emploi de ces solutés chez les brûlés pourrait réduire les apports liquidiens des premiers jours et limiter l'œdème pour une charge sodée identique. Le choc septique pourrait être aussi une indication potentielle des SSH. Enfin, la réanimation de l'arrêt cardiaque pourrait bénéficier des propriétés des SSH. Expérimentalement, la perfusion de CSH à 7,2 % au cours du massage cardiaque entraîne une augmentation significative du débit sanguin cérébral et myocardique [21].

CONCLUSION

Une SSH ne doit pas être considérée comme un simple soluté de remplissage mais comme un véritable agent thérapeutique. Les effets hémodynamiques des SSH ne sont pas univoques et expliquent les bénéfices potentiels de ces solutions dans le traitement de l'hypovolémie aiguë. les SSH sont beaucoup plus efficaces qu'une solution salée isotonique en termes de rapidité de restauration de la volémie ou de la perfusion des organes, tant au niveau macrocirculatoire que microcirculatoire. La limite de ces solutions est leur effet transitoire d'où l'intérêt des associations avec un colloïde.

            RescueFlowÒ est la première association fixe d'une solution de CSH à 7,5 % et d'une solution de dextran 70 à 6 %. Elle a obtenu une AMM avec comme indication le traitement initial de l'hypovolémie avec hypotension en rapport avec un état de choc traumatique.

RÉFÉRENCES

           

1. Riou B, Carli P. Chlorure de sodium hypertonique et choc hémorragique. Ann Fr Anesth Réanim 1990; 9: 536-46.

2. Sztark F, Gekiere JP, Dabadie P. Effets hémodynamiques des solutions salées hypertoniques. Ann Fr Anesth Réanim 1997; 16: 282-91.

3. Frey L, Kesel K, Pruckner S, Pacheco A, Welte M, Messmer K. Is sodium acetate dextran superior to sodium chloride dextran for small volume resuscitation from traumatic hemorrhagic shock? Anesth Analg 1994; 79: 517-24.

4. Doucet JJ, Hall RI. Limited resuscitation with hypertonic saline, hypertonic sodium acetate, and lactated Ringer's solutions in a model of uncontrolled hemorrhage from a vascular injury. J Trauma 1999; 47: 956-63.

5. Maningas PA, Mattox KL, Pepe PE, Jones RL, Feliciano DV, Burch JM. Hypertonic saline-dextran solutions for the prehospital management of traumatic hypotension. Am J Surg 1989; 157: 528-33; discussion 533-4.

6. Vassar MJ, Perry CA, Holcroft JW. Analysis of potential risks associated with 7.5% sodium chloride resuscitation of traumatic shock. Arch Surg 1990; 125: 1309-15.

7. Vassar MJ, Perry CA, Gannaway WL, Holcroft JW. 7.5% sodium chloride/dextran for resuscitation of trauma patients undergoing helicopter transport. Arch Surg 1991; 126: 1065-72.

8. Mattox KL, Maningas PA, Moore EE, Mateer JR, Marx JA, Aprahamian C, Burch JM, Pepe PE. Prehospital hypertonic saline/dextran infusion for post-traumatic hypotension. The U.S.A. Multicenter Trial. Ann Surg 1991; 213: 482-91.

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