Titre

Antibiothérapie préventive des candidoses chez le sujet non neutropénique.

Auteur

Ph Montravers, Y Mahjoub, J Zakine

Anesthésie C, Groupe Hospitalier Sud, CHU AMIENS

            Les infections dues aux levures du genre Candida sont devenues une complication fréquente en réanimation ou en période postopératoire. Du fait de la physiopathologie de ces infections passant par une phase initiale de colonisation, certains auteurs proposent la mise en place de traitements préventifs antifongiques. Le but de cette présentation est de faire le point sur ces études, en se limitant aux patients chirurgicaux.

 Epidémiologie des candidoses invasives

            Pratiquement tous les organes peuvent en être le siège, d’infections dues aux levures du genre Candida [1]. Les candidoses des muqueuses et de la peau peuvent représenter le premier signe d’une colonisation et constituer un facteur de risque pour le développement ultérieur d'une infection systémique. La candidose systémique, ou invasive, parfois secondaire à une dissémination hématogène [2], implique l'atteinte de plusieurs sites non adjacents.

            Les candidémies sont les seules situations pour lesquelles des données épidémiologiques précises sont disponibles [3, 4]. L’incidence des candidémies varie de 4 épisodes pour 100.000 habitants pour les sujets jeunes (20 à 44 ans) à 26 (au-delà de 65 ans) [5]. Elle est accrue en présence d'une infection à VIH (71/100.000) ou d'un cancer (72/100.000). Elle pourrait varier de 1,7 pour 1000 admissions dans les hôpitaux généraux à 7,1 dans des centres anticancéreux et de 0,4 ‰ en médecine à 6,1 en réanimation [6].

            Au cours de l'étude Européenne de prévalence des infections nosocomiales (EPIC), les infections à Candida ont représenté 17 % des infections nosocomiales acquises en réanimation [7]. Entre 50 % et 75 % des candidoses sont dues à Candida albicans [3]. Globalement, 97 % des souches issues des centres européens sont sensibles au fluconazole. Dans la plupart des séries, la mortalité globale des candidoses invasives est supérieure à 50 % [3, 6, 8, 9] mais la mortalité directement liée à l'épisode infectieux n’est que de 25 à 40 % [8, 9].

Pathogénie des infections à levures du genre Candida

            La majorité des candidoses systémiques se développe à partir de souches endogènes dont le patient est porteur lors de son admission [10, 11]. Les levures du genre Candida sont des commensaux du tractus digestif et de la sphère oro-pharyngée. Les modifications de l'écologie de la flore résidente induites par les antibiotiques favorisent leur croissance et la colonisation des muqueuses [12]. Lorsque l’intégrité de ces dernières est rompue, une infection localement invasive se développe et une dissémination hématogène secondaire peut alors suivre à l’occasion d’une baisse transitoire de l’immunité [5].

Facteurs de risque des infections à levures du genre Candida

            Les facteurs de risque généraux qui prédisposent au développement d'une infection nosocomiale sont valables pour l’acquisition d'une candidose. Les auteurs ont séparé ces facteurs de risque en fonction de leur spécificité en facteurs mineurs similaires à ceux retrouvés dans les infections nosocomiales et facteurs majeurs plus spécifiques des infections à Candida [2, 7, 13, 14] (Tableau).

            La colonisation par des levures du genre Candida représente le facteur de risque majeur [13-15]. Chez des patients non neutropéniques, la colonisation secondaire d’autres sites à partir de la cavité abdominale précède souvent le développement d’une candidémie [4, 15]. Chez des patients admis en réanimation chirurgicale, Pittet a montré que le degré de colonisation et un score APACHE II supérieur à 20, étaient des facteurs indépendamment prédictifs du développement d'une infection sévère [2]. Dans cette étude, l'index de colonisation (défini comme le rapport du nombre de sites colonisés par Candida divisé par le nombre total de sites testés) était significativement plus élevé chez les patients qui allaient développer une candidose hématogène (en moyenne 0.70), comparé aux patients qui demeuraient colonisés sans développer d’infection (en moyenne 0.47) La sensibilité de cet index était de 100 % et sa valeur positive prédictive de 66 %.

Utilisation d’un traitement antifongique préventif

            Les éléments physiopathologiques, la colonisation progressive des patients, et l’identification de facteurs de risque ont conduit tout naturellement les auteurs à proposer l’utilisation d’un traitement préventif.

            Par opposition aux patients infectés par le VIH ou aux patients d’onco-hématologie où une littérature abondante est disponible, seuls trois travaux ont été menés sur ce thème chez des patients de réanimation chirurgicale, deux avec le fluconazole [16, 17] et un plus ancien avec le kétoconazole [18].

Ces trois études reposent sur le même principe :

            Slotman et Burchard ont évalué l’effet préventif d’une administration entérale quotidienne de 200 mg de kétoconazole [18]. Tous les patients admis en réanimation chirurgicale et porteurs de 3 critères parmi une série de 16 facteurs de risque ont été inclus. 57 patients ont été étudiés dont 27 dans le groupe traité. Les groupes étaient constitués de patients de chirurgie abdominale, vasculaire, thoracique, ou de neurochirurgie. La colonisation à levures a été significativement plus faible chez les patients recevant du kétoconazole (30 % versus 60 %, p<0,05) mais cette colonisation n’a pas été décrite de manière complète. Aucune infection à Candida n’est survenue dans le groupe kétoconazole contre 17 % des patients du groupe contrôle (p<0,01) (3 infections intra-abdominales, un empyème thoracique, et une infection d’une brûlure). Qu’il s’agisse des colonisations ou des infections, le type de Candida isolé était identique dans les deux groupes, mais le profil de sensibilité n’a pas été étudié. La mortalité dans les deux groupes n’était pas différente (26 % versus 37 % dans le groupe placebo), de même que la mortalité des patients colonisés et non colonisés. La mortalité dans le groupe infecté était de 60 %. La durée de séjour et le coût de la prise en charge des patients recevant du kétoconazole ont été significativement réduits (p<0,01 dans les deux cas). Les auteurs ont conclu à un effet bénéfique du kétoconazole.

            Le travail de Eggiman s’est focalisé sur des patients opérés de chirurgie digestive et atteints manière récidivante de perforations digestives ou de lâchages d’anastomose [16]. Ces patients ont reçu 400 mg de fluconazole par voie parentérale ou un placebo. Cette étude bicentrique avait prévu l’inclusion de 202 patients mais du fait de la lenteur des inclusions, seuls 43 patients évaluables ont été analysés (23 patients traités). Une infection péritonéale à levure est survenue chez 4 % des patients recevant du fluconazole et 35 % des patients recevant le placebo (p=0,02). Parmi les 26 patients non colonisés à l’entrée dans l’étude (13 dans chaque groupe), une colonisation par Candida est apparue chez 15 % des patients recevant du fluconazole et 62 % des patients contrôle (p=0,04). Parmi les 17 patients colonisés à l’entrée dans l’étude, la persistance de la colonisation a été observée dans 50 et 86 % des cas dans les groupes traités et placebo respectivement. Au total, Candida est apparu ou a persisté chez 70 % des patients qui ont reçu le placebo et 30 % des patients traités (p=0,02). Le type de Candida isolé était identique dans les deux groupes (albicans dans 25 des 29 souches isolées). La mortalité n’était pas différente dans les deux groupes (30 et 50 % dans les groupes fluconazole et placebo respectivement). Les auteurs ont conclu a l’intérêt du fluconazole pour la prévention des infections et des colonisations à Candida. Ils insistent sur la nécessité de restreindre cette prophylaxie aux sujets à haut risque d’infection à Candida et soulignent le risque d’émergence de souches de Candida non-albicans avec cette prophylaxie.

            Le travail réalisé par Pelz a évalué l’effet d’une prévention par voie entérale du fluconazole comprenant une dose de charge de 800 mg suivi par une dose d’entretien de 400 mg comparé à un placebo [17]. Tous les patients admis en réanimation chirurgicale pour une durée prévisible de plus de 3 jours ont été inclus. Au total, 260 patients (130 dans chaque groupe) ont été analysés dans une étude focalisée sur le développement des infections fongiques. 31 patients atteints d’une infection fongique à l’admission (11 dans le groupe traité) ont été pris en compte dans l’analyse en intention de traiter (ce critère ne faisant pas partie des critères d’exclusion). Après ajustement statistique, le risque d’une infection fongique a été réduit de 55 % dans le groupe recevant du fluconazole. De plus une réduction du risque d’infection au cours du temps a été notée. L’effet du fluconazole sur la prévention des infections était plus marqué si les infections urinaires étaient exclues, si les infections suspectées étaient inclues, ou si l’analyse était focalisée sur le groupe traité (p<0,01 dans chaque cas). La durée de séjour était identique dans les deux groupes. Au plan microbiologique, aucune émergence de souche résistante au fluconazole ni de souches de Candida non-albicans n’a été notée. Aucune différence en termes de mortalité n’a été observée. Les auteurs concluent à une réduction de la fréquence des infections prouvées ou suspectées.

Faut-il utiliser un traitement antifongique préventif

            Bien que les trois études présentées ci-dessus donnent des résultats convergents réduisant l’incidence des infections ou des colonisations à Candida, il paraît difficile sur les données actuelles de recommander l’utilisation d’un traitement antifongique préventif. Ces trois publications ont analysé des populations différentes avec des critères d’inclusion différents, les effectifs sont pour l’instant modestes, les patients ne sont pas de gravité équivalente, enfin, les agents ne sont pas administrés par la même voie. Il est à noter qu’aucun de ces travaux n’a utilisé d’index de colonisation, critère qui semble actuellement un des éléments les plus pertinents pour définir des sujets à risque d’infection à Candida. Enfin, il convient de souligner que la mortalité n’a été réduite dans aucune de ces publications.

Conclusion

            La survenue d’une infection sévère à levure du genre Candida est une complication hospitalière grave. Une bonne connaissance de leur physiopathologie doit permettre au clinicien de détecter précocement les facteurs de risque qui prédisposent à leur développement. A cet égard, le degré de colonisation représente un élément crucial dont la valeur prédictive est établie.

            Un diagnostic rapide et la mise en route d’un traitement empirique précoce pourraient améliorer le pronostic des infections nosocomiales à Candida. L’utilisation préventive d’antifongique bien que prometteuse reste pour l’instant une voie d’investigation. Le risque de sélection de souches résistantes aux antifongiques ou la sélection de type particulier de levures pour l’instant non totalement infirmé pourrait marquer un coup d’arrêt à cette perspective séduisante.

Références

1.         Voss A, Kluytmans JA, Koeleman JG, et al. Occurrence of yeast bloodstream infections between 1987 and 1995 in five Dutch university hospitals. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 1996; 15:909-12

2.         Pittet D, Monod M, Suter PM, et al. Candida colonization and subsequent infections in critically ill surgical patients. Ann Surg 1994; 220:751-8

3.         Beck-Sague CM, Jarvis W. Secular trends in the epidemiology of nosocomial fungal infections in the United States, 1980-1990. J Infect Dis 1993; 167:1247-51

4.         Calandra T, Bille J, Schneider R, et al. Clinical significance of Candida isolated from peritoneum in surgical patients. Lancet 1989; ii:1437-40

5.         Kao AS, Brandt ME, Pruitt WR, et al. The epidemiology of candidemia in two United States cities: results of a population-based active surveillance. Clin Infect Dis 1999; 29:1164-70

6.         Rennert G, Rennert HS, Pitlik S, et al. Epidemiology of Candidemia-a nationwide survey in Israel. Infection 2000; 28:26-9

7.         Vincent JL, Bihari DJ, Suter PM, et al. The prevalence of nosocomial infection in intensive care units in Europe. Results of the European Prevalence of Infection in Intensive Care (EPIC) study. JAMA 1995; 274:639-44

8.         Pittet D, Li N, Woolson RF, Wenzel RP. Microbiological factors influencing the outcome of nosocomial bloodstream infections. A six year validated, population-based model. Clin Infect Dis 1997; 24:1068-78

9.         Wey SB, Motomi M, Pfaller MA, et al. Hospital-acquired candidemia. The attributable mortality and excess length of stay. Arch Intern Med 1988; 148:2642-5

10.       Reagan DR, Pfaller MA, R.J. H, Wenzel RP. Evidence of nosocomial spread of Candida albicans causing bloodstream infection in a neonatal intensive care unit. Diagn Microbiol Infect Dis 1995; 21:191-4

11.       Romano F, Ribera G, Giuliano M. A study of a hospital cluster of systemic candidosis using DNA typing methods. Epidemiol Infect 1994; 112:393-8

12.       Pappu-Katikaneni LD, Rao KP, Banister E. Gastrointestinal colonization with yeast species and Candida septicemia in very low birth weight infants. Mycoses 1990; 33:20-3

13.       Richet HM, Andremont A, Tancrede C, et al.  Risk factors for candidemia in patients with acute lymphocytic leukemia. Rev Infect Dis 1991; 13:211-5

14.       Wey SB, Mori M, Pfaller MA, et al. Risk factors for hospital-acquired candidemia. A matched case-control study. Arch Intern Med 1989; 149:2349-53

15.       Solomkin JS, Flohr AB, Quie PG, et al. The role of Candida in intraperitoneal infections. Surgery 1980; 88:524-30

16.       Eggimann P, Francioli P, Bille J, et al. Fluconazole prophylaxis prevents intra-abdominal candidiasis in high-risk surgical patients. Crit Care Med 1999; 27:1066-72

17.       Pelz RK, Hendrix CW, Swoboda SM, et al. Double-blind placebo-controlled trial of fluconazole to prevent candidal infections in critically ill surgical patients. Ann Surg 2001; 233:542-8

18.       Slotman GJ, Burchard KW. Ketoconazole prevents Candida sepsis in critically ill surgical patients. Arch Surg 1987; 122:147-51

 

Tableau :

Facteurs de risque prédisposant au développement
d’infections fongiques sévères

 

Facteurs majeurs

Facteurs mineurs *

  •  Colonisation par levures du genre Candida

  • Antibiothérapie préalable ou concomitante

  • Immunosuppression humorale ou cellulaire

  • Neutropénie

  • Brûlures étendues (>50 %)

  • Perforation digestive

  • Chirurgie abdominale majeure

  • Traumatisme majeur (ISS >20)

  • Altérations du transit (diarrhées ou iléus)

  • Nutrition parentérale

  • Hémodialyse

  •  Age (nouveaux nés et vieillards)

  • Comorbidité (diabète ; insuffisance rénale)

  • Intervention chirurgicale préalable

  • Sonde urinaire

  • Accès intravasculaires multiples

  • Séjour prolongé en réanimation (>7jours)

  • Candidurie >105 ufc#/ml en présence de sonde             urinaire

 *              Ces facteurs sont également associés à un risque augmenté d’infections nosocomiales

#                      Unités formant colonies