Titre

Les médicaments vasopresseurs en Urgence

VASOPRESSEURS ET CHOC HYPOVOLEMIQUE

Auteur

Docteur Anne-Pascale FORGET

UF d'Anesthésie-Réanimation - Sce des Urgences - CHRU de LILLE

Le choc hypovolémique, qu’il soit secondaire à une spoliation sanguine ou à des pertes hydriques, désigne une défaillance cardio-circulatoire caractérisée par une diminution sévère du volume sanguin circulant. La réanimation du choc hypovolémique peut être divisée en deux phases. Au cours de la période initiale, l'hémorragie ou la spoliation volémique ne sont pas contrôlées : le but principal poursuivi par la réanimation est alors de restaurer la volémie et le transport artériel en oxygène afin d’assurer la survie immédiate du patient. Après contrôle de l’hypovolémie et des éventuelles hémorragies, la survenue d’états hypotensifs à débit cardiaque normal ou élevé et la persistance de signes d’hypoxie tissulaire avec une ou plusieurs défaillance(s) viscérale(s) sont de plus en plus fréquemment décrits (1). Dans cette phase secondaire, le traitement a pour but d'optimiser le transport d'oxygène aux tissus et d'améliorer la microcirculation tissulaire. L’intérêt des agents vasoconstricteurs doit être envisagé distinctement au cours de ces 2 phases successives.

Intérêt et utilisation des vasoconstricteurs au cours de la phase initiale hypovolémique :

L’hypovolémie induit une chute du retour veineux, du débit cardiaque, de la pression artérielle et active les mécanismes régulateurs hémodynamiques. En premier lieu, la stimulation du système sympathique permet la libération de quantités importantes de catécholamines vasoconstrictrices endogènes telles que la noradrénaline (2). Cette vasoconstriction endogène est intense tant sur le versant artériolaire que sur le versant veineux : elle permet une augmentation de la pression artérielle par augmentation des résistances vasculaires systémiques et recrute du volume sanguin circulant en diminuant la capacitance veineuse. De plus, cette stimulation sympathique va limiter la survenue d’hypoxie(s) tissulaire(s) en redistribuant le débit cardiaque vers les organes possédant des besoins en O2 élevés et des possibilités d'extraction en oxygène limitées: cœur, cerveau et si possible le rein (3).

                Au cours de la prise en charge initiale des états de choc hypovolémique et hémorragique, la priorité est le rétablissement de la volémie et l’hémostase de tous les foyers hémorragiques. A cette phase, l’utilisation de drogues vasoconstrictrices chez un patient déjà puissamment et « intelligemment » vasoconstricté par le système nerveux autonome paraît d’un intérêt limité, ceci d’autant plus que toute augmentation de la pression artérielle est susceptible d’aggraver le saignement (4). Dans certains cas, le maintien d’une pression artérielle moyenne peut toutefois constituer un objectif prioritaire et conduire à l’administration d’un vasoconstricteur à la phase précoce du choc hémorragique. La survenue ou la pérennisation d’une hypotension artérielle après un traumatisme crânien grave aggrave le pronostic neurologique. Aussi, l’utilisation précoce de vasoconstricteurs de type de Noradrénaline ou de Dopamine a été recommandée dans cette indication (5). L’utilisation de catécholamines peut être aussi proposée lorsque des altérations aiguës de l’activité sympathique sont attendues : induction anesthésique d’un patient en choc hémorragique, traumatisme médullaire, traitement par béta-bloqueurs.

 

Intérêt et utilisation des vasoconstricteurs au cours de la phase secondaire normovolémique :

 Un état hypermétabolique lié à une augmentation du débit cardiaque, du transport d'oxygène et de la consommation d'oxygène est fréquemment rencontré chez les patients ayant survécu à la phase initiale du choc hémorragique (6). Si le concept est que l’organisme cherche à compenser la dette en oxygène contracté au cours de la phase hémorragique, l’altération hémodynamique est plus complexe : altération de la fonction cardiaque (7) ; anomalies de distribution du débit cardiaque vers les territoires moins menacés ; diminution des capacités d’extraction en oxygène par les tissus (8). Pour preuve, plusieurs études ont démontré que 24 à 30% des patients ayant survécu à la phase initiale du choc hémorragique développaient une ou plusieurs défaillances viscérales avec une  mortalité supérieure à 10 % (9,10). Aussi, le clinicien se trouvera donc, à cette phase là, devant un patient présentant un état de choc distributif hyperkinétique vasoplégique avec un débit cardiaque élevé, une hypotension artérielle voire des signes de défaillance d’organe. L’utilisation de vasoconstricteurs durant cette seconde phase sera le plus souvent nécessaire pour maintenir la pression artérielle. Toutefois, aucune étude expérimentale ou clinique ne documente les effets hémodynamiques des différents vasoconstricteurs et l’intérêt de ceux-ci sur l’évolution des patients.

 Références :

1.        Oud L, Kruse JA. Progressive gastric intramucosal acidosis follows resuscitation from hemorrhagic shock. Shock. 1996, 6 : 61-5.

2.        Schadt JC, Ludbrook J. Hemodynamic and neurohumoral responses to acute hypovolemia in conscious mammals. Am J Physiol. 1991, 260 : H305-18.

3.        Schlichtig R, Kramer DJ, Pinsky MR. Flow redistribution during progressive hemorrhage is a determinant of critical O2 delivery. J Appl Physiol. 1991, 70 : 169-78.

4.        Bickell WH, Bruttig SP, Millnamow GA, O'Benar J, Wade CE. Use of hypertonic saline/dextran versus lactated Ringer's solution as a resuscitation fluid after uncontrolled aortic hemorrhage in anesthetized swine. Ann Emerg Med. 1992, 21 : 1077-85.

5.        Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé. Prise en charge des traumatisés crâniens graves à la phase précoce. Recommandations pour la pratique clinique. Ann Fr Anesth Réanim. 1999, 18 : 15-141.

6.        Hayes MA. Oxygen delivery and outcome. Curr Opin Anaesthesiol. 1998, 11 : 129-33.

7.        Kline JA, Thornton LR, Lopaschuk GD, Barbee RW, JA Watts. Heart function after severe hemorrhagic shock. Shock. 1999, 12 : 454-61.

8.        Kirkman E, Zhang H, Spapen H, Little RA, Vincent JL. Effects of afferent neural stimulation on critical oxygen delivery: a hemodynamic explanation. Am J Physiol. 1995, 269 : R1448-54.

9.        Heckbert SR, Vedder NB, Hoffman W, Winn RK, Hudson LD et al. Outcome after hemorrhagic shock in trauma patients. J Trauma. 1998, 45 : 545-549.

10.     Bickell WH, Wall MJ, Pepe PE, Martin RR, Ginger VF et al. Immediate versus delayed resuscitation for hypotensive patients with penetrating torso injuries. N Engl J Med. 1994, 331 : 1105-1109.