Titre |
Détresses respiratoires postopératoires Démarche diagnostique |
Auteur |
Benoît Tavernier |
DARC I , hôpital Roger Salengro, Lille |
Les complications respiratoires postopératoires sont fréquentes, elles augmentent la morbidité, la durée d'hospitalisation et finalement la mortalité postopératoire [1]. Leur incidence varie avec le type de chirurgie (elle est plus élevée après chirurgie thoracique et/ou abdominale haute) et avec les antécédents des patients (principaux facteurs de risque : le tabagisme, la bronchopathie chronique obstructive, l'obésité morbide, l'âge).
On désigne
en général par détresse respiratoire postopératoire toutes les formes aiguës
et sévères de ces complications. Leur prise en charge doit suivre une démarche
diagnostique visant à la fois à en affirmer l'origine (pulmonaire ou non), à
en évaluer la gravité et surtout à en déterminer l'étiologie, étape nécessaire
à un traitement optimal. Les détresses respiratoires peuvent survenir de façon
plus ou moins retardée par rapport à l'intervention initiale. Nous exclurons
ici les détresses d'origine obstructive haute survenant immédiatement au décours
de l'extubation trachéale et de diagnostic positif et étiologique évident (en
particulier après chirurgie maxillo-faciale ou cervicale) et les dépressions
respiratoires directement liées aux effets résiduels de l'anesthésie. En
pratique, le principal problème concerne des patients chez qui apparaissent de
façon plus ou moins rapide des signes cliniques de détresse respiratoire, après
des suites postopératoires initialement normales.
La démarche
diagnostique initiale et son intrication avec la prise en charge thérapeutique
sont naturellement adaptées à la gravité et à l'évolution de la
symptomatologie. La revue des antécédents et l'examen clinique (caractérisation
de la dyspnée, recherche d'une dysfonction cardio-circulatoire ou neurologique
associée, examen pleuro-pulmonaire) permettent dans de nombreux cas d'orienter
ou d'affirmer la cause de la détresse respiratoire [2]. Les examens complémentaires
de première intention se résument à la radiographie de thorax, l'électrocardiogramme,
les gaz du sang et la biologie sanguine de routine. Les autres examens complémentaires
doivent être réalisés en fonction du contexte clinique et des résultats de
ces examens initiaux. Il faut d'abord éliminer une dyspnée d'hyperventilation
secondaire à une acidose métabolique. Une complication
"chirurgicale" est systématiquement évoquée après chirurgie
thoracique, mais il est indispensable d'y penser aussi après chirurgie
abdominale. Depuis longtemps [3,4], il est en effet connu qu'une péritonite par
lâchage d'anastomose peut se révéler par une symptomatologie exclusivement
respiratoire, en particulier par l'association d'une dyspnée et de douleurs
thoraciques d'apparition rapide évoquant en première intention l'embolie
pulmonaire. La radiographie de thorax peut aussi bien révéler un épanchement
pleural liquidien qu'un syndrome alvéolaire, mais aussi être normale. L'examen
des drains et de l'abdomen, les examens radiologiques avec opacification voire
la laparotomie de principe permettent de redresser le diagnostic. Finalement,
les causes les plus fréquentes de détresse respiratoire postopératoire
restent (1) l'encombrement bronchique (surtout en cas d'infection bronchique) et
le bronchospasme, (2) les pneumonies, (3) les atélectasies, (4) les
pneumothorax, (5) les oedèmes pulmonaires, et (6) l'embolie pulmonaire. Toutes
les autres causes de dyspnée aiguë peuvent se rencontrer en postopératoire,
mais sont beaucoup plus rares et ne sont à envisager (sauf circonstances évocatrices)
qu'en deuxième intention ; il faut évoquer, entre autres, les épanchements
pleuraux liquidiens rapidement abondants (dont le "perfusothorax"), la
réouverture d'un foramen ovale, une
tamponnade, une embolie gazeuse voire un syndrome hémorragique alvéolaire ou
encore la décompensation d'une affection neuro-musculaire préexistante.
L'une
des situations qui pose le plus souvent un problème diagnostique est
l'apparition de signes cliniques et radiologiques évocateurs d'une pneumonie
nosocomiale. De nombreuses études visant à définir les meilleurs critères
diagnostiques de pneumonie nosocomiale ont été réalisées chez les patients déjà
sous ventilation contrôlée ; en revanche très peu de données sont
disponibles concernant les pneumonies apparaissant au cours de suites opératoires
simples ou peu compliquées, c'est-à-dire chez des patients en secteur
d'hospitalisation conventionnelle. Des premières études, il faut retenir que
les signes classiques de la pneumonie (toux, expectoration purulente, fièvre,
hyperleucocytose, nouvelle opacité alvéolaire radiologique, hypoxémie)
manquent de sensibilité comme de spécificité. Dans une étude regroupant 317
patients sous ventilation mécanique, l'apparition d'opacités d'allure
parenchymateuse ne correspondaient que dans 35 % à une pneumonie. Les autres
causes étaient des atélectasies (23 %), de l'oedème pulmonaire hémodynamique
(7 %), des syndromes de détresse respiratoire aiguë (sans infection
pulmonaire) (3 %), des embolies pulmonaires (1 %), des fibroses pulmonaires (1
%), une hémorragie intra-alvéolaire et un cancer bronchique (une partie des
opacités n'avaient pas reçu d'étiologie certaine, expliquant un total inférieur
à 100 %) [5]. Une étude récente menée prospectivement chez 129 patients de réanimation
chirurgicale chez lesquels étaient observée une nouvelle opacité à la
radiographie thoracique a trouvé une pneumonie dans 30 % des cas, puis un oedème
pulmonaire (29 %), un "acute lung injury" (15 %), des atélectasies
(13 %) ou une contusion pulmonaire (3 %), la cause restant indéterminée dans
10 % des cas [6]. C'est pourquoi la réalisation systématique de prélèvements
pour diagnostic bactériologique est recommandée, d'autant plus que l'on sait
également que l'antibiothérapie "à l'aveugle" d'une pneumopathie
nosocomiale (même correctement diagnostiquée) est souvent inadaptée [7]. Le
choix de la technique de prélèvement fait encore l'objet d'une controverse qui
concerne avant tout les patients sous ventilation contrôlée. Chez les autres,
un diagnostic bactériologique fiable nécessite un prélèvement sous
fibroscopie, ce qui pose des problèmes évidents en pratique clinique. L'étude
multicentrique prospective "Eole", qui vient juste d'être publiée,
apporte des informations d'ordre épidémiologique sur les pneumonies
nosocomiales postopératoires en France [8]. Elle montre que leur survenue est
volontiers précoce (512 /837 pneumonies avant le 5ème jour postopératoire)
et que l'on trouve une forte proportion de bacilles Gram-négatifs et de
staphylocoques, même dans ces pneumonies précoces. Ce dernier résultat
pourrait être secondaire à la pratique de l'antibioprophylaxie et peut
contribuer au choix de l'antibiothérapie probabiliste.
Dans
certains cas, le bilan initial décrit plus haut ne permet pas de mettre en évidence
l'étiologie de la détresse respiratoire. Il est en particulier difficile de
pouvoir affirmer ou formellement éliminer une embolie pulmonaire. Le dosage
quantitatif des D-dimères, en cas de négativité permettrait pour certains d'éliminer
le diagnostic avec une très forte probabilité. Cette attitude n'est pas admise
par tous, et il a été récemment montré que les embolies sous-segmentaires ne
pouvaient pas être éliminées par le dosage des D-dimères [9]. Pendant
longtemps, l'examen de référence a été l'angiographie pulmonaire. On peut désormais
lui substituer le scanner spiralé [10], qui permet de compléter le bilan
diagnostique de façon presque non invasive. Le diagnostic scanographique d'embolie repose
sur la mise en évidence du thrombus à l'intérieur d'une lumière vasculaire.
Il peut être visualisé sous la forme d'un défect partiel ou total de la lumière.
Il existe aussi des signes indirects (raréfaction vasculaire et diminution de
calibre des vaisseaux en aval du territoire embolisé, opacité parenchymateuse
à base périphérique en cas d'infarctus pulmonaire). De nombreux pièges
diagnostiques et difficultés d'interprétation doivent cependant être connus
du radiologue pour une interprétation optimale. La sensibilité de cet examen
pour le diagnostic des embolies distales est inférieure à celle obtenue pour
les embolies proximales (le plus souvent responsables des tableaux graves), mais
reste bonne. Le scanner thoracique permet aussi d'évaluer précise les
structures pleuro-parenchymateuses et médiastinales. Il redresse ainsi de
nombreuses erreurs d'interprétation de la radiographie thoracique initiale. Il
permet notamment la mise en évidence d'anomalies invisibles sur le cliché
standard (d'autant plus que ce dernier a dû être réalisé au lit du patient).
La disponibilité croissante de cet examen devrait permettre sa réalisation à
chaque fois que le bilan initial d'une détresse respiratoire postopératoire
n'a pas été contributif, surtout s'il existe des signes de gravité ou d'évolutivité.
Si
c'est un oedème alvéolaire qui est suspecté et que l'anamnèse, la clinique
et la bilan initial ne sont pas (ou peu) contributif, l'écho-doppler cardiaque,
par la quantification de la fonction ventriculaire gauche et l'estimation des
pressions artérielles pulmonaires et des pressions de remplissage du ventricule
gauche [11], apporte des informations permettant le plus souvent de trancher en
faveur ou en défaveur de l'oedème pulmonaire cardiogénique. Les situations
difficiles peuvent encore constituer des indications d'exploration hémodynamique
par cathétérisme de Swan-Ganz pour mesure de la pression artérielle
pulmonaire d'occlusion. Une autre possibilité est de surveiller l'évolution de
la symptomatologie clinique et radiologique après traitement par diurétiques
et restriction hydro-sodée, mais cette attitude expose à prescrire un
traitement inefficace voire dangereux en cas d'erreur de diagnostic. Si l'œdème
est lésionnel, il entre dans le cadre de "l'acute lung injury" ou du
syndrome de détresse respiratoire aiguë ; l'étiologie est une pathologie
pulmonaire (y compris une pneumonie) ou extra-pulmonaire (choc septique, pancréatite
…).
Face
à une détresse respiratoire postopératoire, la préoccupation dominante est
donc de savoir identifier les urgences majeures respiratoires, cardiovasculaires
ou métaboliques qui nécessitent un diagnostic immédiat et la mise en route de
traitements urgents. Une démarche diagnostique relativement simple et peu
invasive permet d'identifier la cause de la majorité de ces détresses
respiratoires. En pratique, les difficultés sont de deux ordres : (1) plusieurs
mécanismes peuvent être impliqués chez un même patient, de façon simultanée
ou plus souvent de façon successive, ce qui rend la conduite du traitement plus
délicat ; (2) certains cas restent inexpliqués ; ils pourront cependant bénéficier
de mesures thérapeutiques symptomatiques de la défaillance respiratoire elle-même
et des signes associés. Ainsi, une fois éliminées les étiologies impliquant
un traitement réellement spécifique (complication "chirurgicale" et
embolie pulmonaire en particulier), il est possible que l'identification "à
tout prix" de la cause de la détresse respiratoire ne modifie pas réellement
le pronostic. Cet aspect mériterait, à l'avenir, d'être précisé.
Références
1.
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période postopératoire. pp 155-176
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