Les examens pour transfuser
Quand transfuser ?

Dr Pierre Richart

DARC 1 CHRU Lille


En 1935 la première banque de sang est créée à la Mayo Clinic de New-York. La mise au point des moyens de prélèvements et de conservation du sang permettent alors l’essor de la transfusion sanguine homologue. Dans les années 60 les risques liés à l’acte transfusionnel sont mieux connus (transmission de maladies virales et infectieuses, complications immunologiques) mais sont occultés par les bénéfices que procure la transfusion sanguine. Il faut attendre les années 80 et l’apparition du SIDA pour fait prendre conscience aux médecins, à l’opinion publique et aux pouvoirs politiques que les risques transfusionnels ne peuvent plus être négligés. La médecine transfusionnelle est naît. Elle développe la sécurité transfusionnelle, les techniques d’épargne transfusionnelle (transfusion autologue, récupération sanguine périopératoire, hémodilution) et l’hémovigilance. Dans ce travail nous allons préciser la sécurité transfusionnelle, les différents examens nécessaires à la pratique d’une transfusion de produits sanguins labiles et essayer de définir le seuil décisionnel d’une transfusion de produits sanguins labiles.

 

Sécurité transfusionnelle

A. Définition

Circulaire n° 47 du 15-01-1992 : " Ensemble des mesures visant à réduire ou éliminer les risques immunologiques et infectieux liés à la transfusion de produits sanguins. Elle doit être la préoccupation constante de tous les professionnels impliqués dans l’acte de transfusion des établissements de soins (prescription, réception, injection de produits sanguins et suivi des receveurs). La sécurité transfusionnelle repose non seulement sur la bonne exécution de ces opérations mais également sur l’efficacité de leur coordination. ". La transfusion est un acte médical délégué regroupant un prescripteur (médecin) et un transfuseur (IDE, IADE, médecin). Le prescripteur d’une transfusion doit veiller à entourer celle-ci d’une maîtrise des objectifs de sécurité. L’acte transfusionnel est pratiqué par un médecin qui engage sa responsabilité individuelle même s’il délègue la réalisation de l’acte à un personnel paramédical qui en fonction du type de défaillance, d’erreur ou de faute susceptible de survenir sera alors considéré comme co-responsable. On le voit la sécurité transfusionnelle concerne la sécurité des produits et la sécurité des pratiques transfusionnelles.

B. Sécurité des pratiques transfusionnelles = dossier transfusionnel

La sécurité transfusionnelle s’élabore autour du DOSSIER TRANSFUSIONNEL. Il est la véritable pièce maîtresse de toute stratégie transfusionnelle (la prescription, la réalisation et le suivi). Il fait partie du dossier médical du patient. Il est unique dans l’établissement de soins, donc commun aux différents services médicaux d’accueil d’un même receveur.

Au CHRU de Lille il comprend :

- L’identification complète du receveur

- Le dossier transfusionnel informatisé PROSANG avec les antécédents, l’historique transfusionnel, les conseils transfusionnels, le nom des prescripteurs et des transfuseurs.

- La lettre d’information au transfusée signée par le médecin et remise au patient à sa sortie (double du document)

- Une Fiche éventuelle d’Incident Transfusionnel (FIT) signée par le correspondant d’hémovigilance de l’établissement de soins

- Le dossier immuno-hématologique

- Les contrôles biologiques (résultats des dépistages pré et post-transfusionnels)

 

La mise en place de procédures et la formation spécifique du personnel soignant permet la mise en place d’une stratégie transfusionnelle optimale et adaptée à chaque situation. Toutes ces actions sont coordonnées par le Comité de Sécurité Transfusionnelle et d’Hémovigilance (C.S.T.H.) de chaque établissement de soins.

 

Stratégie transfusionnelle

C. Examens pour transfuser au bloc opératoire ou en unités de soins.

1. Identité du patient

La vérification de l’identité complète du receveur comprend le nom, éventuellement le nom de jeune fille, le prénom et la date de naissance. Attention à l’identification incomplète ou erronée du patient, source de nombreux conflits avec la banque de sang.

2. Validité des documents immuno-hématologiques

a) Groupe sanguin

Pour la transfusion de concentré érythrocytaire "standard " (ou phénotypé) il faut deux résultats concordants de groupe ABO Rh, dont un phénotypé, prélevés à des moments différents par des personnes différentes. Deux résultats de groupe sanguin permettent l’établissement d’une carte de groupe sanguin. Pour être valable une carte de groupe sanguin doit comporter l’identité complète du patient, la date, le laboratoire, la nature de l’examen, les résultats (groupe sanguin, phénotype et agglutinine irrégulière) et la signature du médecin biologiste. Il s’agit d’une carte de receveur. Dans l’absolu les cartes de donneur de sang ne sont pas considérées comme valables.

 

b) R.A.I.

La recherche d’agglutinines irrégulières dépiste et identifie tout anticorps anti-érythrocytaire qui pourrait s’avérer dangereux. Elle est obligatoire chez tous les patients dès lors qu’une transfusion sanguine est envisagée à court terme même s’il n’a jamais été transfusé.

En dehors de l’urgence il faut toujours attendre le résultat écrit de la dernière R.A.I avant de transfuser. La validité d’une R.A.I est de 3 jours.

Un résultat positif de R.A.I impose la transfusion de sang compatible

 

c) Prescription

Pour réaliser une transfusion sanguine il faut que celle-ci soit prescrite par un médecin.

La prescription est rédigée sur une ordonnance qui doit comporter :

 

A Rennes une étude sur 1000 feuilles de prescription a montré que 2 % des receveurs et 17 % des prescripteurs étaient non identifiés. Une prescription orale ne dispense nullement le médecin d’une prescription écrite. La signature du médecin responsabilise son acte.

Il est recommandé que la commande soit rédigée par l’IDE ou l’IADE (commande écrite et/ou informatique) et soit validée par le médecin (signature de la commande ou prescription signée dans le dossier de soins ou la feuille d’anesthésie par exemple).

 

d) Les examens prétransfusionnels

La circulaire n° 609 du 1er octobre 1996, relative aux analyses et tests pratiqués sur des receveurs de produits sanguins labiles, recommande de proposer aux receveurs de produits sanguins labiles un suivi comportant certains tests de dépistage de maladies transmissibles virales.

 

Le patient ou le détenteur de l’autorité parentale s’il s’agit d’un mineur ou la personne exerçant la tutelle doit être informé(e) du prélèvement et y consentir. Cette circulaire n’impose rien mais recommande fortement ! ! Chaque établissement de soin par l’intermédiaire du C.S.T.H doit mettre en place sa propre hémovigilance. Au C.H.R.U de Lille, il est proposé de réaliser avant (mais sans en attendre les résultats) la première transfusion de produit sanguin labile, le bilan virologique suivant, datant de moins d’un mois :

 

 

VIH

HTLV

VHC

VHB

Risque résiduel d’unités infectieuses
(nombre par million de dons)

1

0,2

4,9

5,6

Risque d’infections (%)

100

40

100

100

Nombre de receveurs infectés
par an (pour 3 millions de dons)

3

< 1

15

17

Pathologies graves (%)*

90-100

5

75

5

- nombre par an

3

< 1

11

< 1

- nombre tous les 5 ans

15

< 1**

55

4

 

* Infections chroniques pour les virus des hépatites ** Un tous les 80 ans Tableau 1 – Estimation du risque clinique consécutif au risque d’infections par des unités séronégatives. D’après A.M Couroucé.

 

e) La contrôle prétransfusionnel ultime

La vérification prétransfusionnelle est le dernier examen à réaliser systématiquement avant chaque transfusion au lit du malade. Elle prévient l’incompatibilité ABO (en France un accident ABO par mois). Elle ne doit pas se substituer à la vérification administrative des éléments du dossier transfusionnel. En cas de doute ou d’anomalie du résultat il faut avertir le médecin prescripteur de la transfusion. Unité de lieu de temps et d’action +++

 

D. Seuil transfusionnel

1. Rappel physiologique

L’hémodilution entraîne une baisse de la quantité d’hémoglobine qui avec le débit cardiaque et la saturation en oxygène conditionnent le transport en oxygène. Elle est bien supportée jusqu’à un niveau bas de l’hématocrite parce qu’un certain nombre de modifications hémodynamiques qu’elle entraîne vont apparaître comme des mécanismes compensateurs qui maintiennent une capacité de transport de l’oxygène à un niveau presque normal. Elles impliquent néanmoins que la masse sanguine reste normale (normovolémie) ou soit augmentée (remplissage vasculaire).

- par augmentation du volume d’éjection systolique (VES)

- par augmentation du retour veineux

- par diminution de la post-charge

- modification de la partition du débit cardiaque au profit des organes sensibles

- stimulation du système sympathique

NB : baisse du tonus sympathique sous anesthésie générale – mais baisse de la consommation d’oxygène (l’hémodilution reste bien tolérée).

 

Ces mécanismes d’adaptation sont maximaux pour un hématocrite à 30 %. Lorsque l’hématocrite continue à baisser jusqu’à 20-25%, le transport de l’oxygène commence à diminuer lui aussi mais la consommation de l’oxygène se maintient à son niveau initial grâce à une extraction accrue de l’oxygène par les tissus.

Lorsque enfin, le coefficient d’extraction de l’oxygène atteint une valeur critique voisine de 55 % (normale = 20-25 %), le transport commence à devenir insuffisant pour assurer les besoins périphériques en oxygène et la consommation de l’oxygène devient alors tributaire du transport de l’oxygène (transport de l’oxygène critique).

A ce moment-là apparaît une acidose métabolique témoignant d’une déviation du métabolisme vers l’aéro-anaérobiose. Cette situation est tolérable transitoirement. Le seuil de l’hématocrite compatible avec une bonne oxygénation dépend alors étroitement de la situation métabolique.

 

Limites de la tolérance de l’hémodilution : de toutes les circulations locorégionales, la circulation myocardique est celle qui constitue la limite quantitative la plus nette à l’hémodilution. En effet le débit sanguin coronaire augmente proportionnellement plus que tout autre débit régional (baisse de la viscosité, vasodilatation coronaire). La réserve coronaire est entamée de 50% pour un hématocrite de 20%.

 

2. Décision transfusionnelle

On ne transfuse pas un chiffre mais un patient ! !

La décision est dictée par le bénéfice transfusionnel par rapport au risque de développer une oxygénation inadéquate. Il faut tenir compte :

 

© De l’ancienneté de l’anémie.

© Du contexte chirurgical (CEC, obstétrique) et de la persistance du risque hémorragique.

© Des antécédents du patient. Attention particulière du fait d’une réduction de leur capacité d’adaptation (âge, classification ASA, cardiopathie limitant les capacités d’adaptation, coronarien, AVC, hypoxémie chronique)

© De la tolérance clinique. (avant, pendant l’intervention et surtout en phase de réveil)

© De l’estimation des pertes sanguines.

Þ Evaluation visuelle par la pesée des compresses (valeur obtenue augmentée de 25%).

Þ Evaluation subjective : observation des champs opératoires, des bocaux d’aspiration et de la plaie opératoire.

Þ calcul du Z, volume sanguin potentiellement perdu par le patient pour obtenir un hématocrite donné

Z = VST x Hti – Htf

Hti – Htf/2

Þ mesure de l’hémoglobine au bloc ou au chevet du patient par technique de microméthode utilisant la photométrie (HémocueÔ )

- remplaçant la mesure de l’hématocrite par minicentrifugation

- évitant l’attente du résultat d’un examen de laboratoire

© Des possibilités de surveillance clinique et de monitorage (pression artérielle, fréquence cardiaque, température centrale, SpO2 et diurèse.

 

L’ensemble de ces données justifie pleinement les conclusions de la conférence de consensus SFAR-ANDEM de 1994 sur l’apport de globules rouges en chirurgie :

" Compte tenu du nombre des facteurs impliqués dans le processus d’oxygénation, il est illusoire, sinon dangereux, de proposer une valeur seuil universellement reconnue. "

Il existe malgré tout un consensus autour de l’attitude suivante :

Pour une hémoglobinémie inférieure à 7 g.dl-1, une transfusion de concentré globulaires est le plus souvent nécessaire. Elle est d’autant plus justifiée que la chirurgie est majeure, que le patient est âgé, qu’il existe des antécédents cardio-vasculaires ou que la période postopératoire est compliquée.

 

Entre 7 et 10 g.dl-1 d’hémoglobinémie, la transfusion doit être décidée après analyse rigoureuse de chaque cas particulier.

Pour une hémoglobinémie supérieur à 10 g.dl-1, dans la majorité des cas, la transfusion n’est pas nécessaire et ceci quels que soient les antécédents du patient.

 

Objectif Pourcentage de la valeur normale Valeur absolue
Volémie 100% 75 ml.kg-1
Hématocrite 50% 21%
Protidémie 60% 50 g.L-1
Albumine 60% 25 g.L-1
Facteur V et VIII 35% 35%
Plaquettes 25% 60 000

Tableau 2. Objectifs minimaux pour les compensations des pertes sanguines périopératoires

 

Hémorragie (volume) 15% 25% 50% 100% > 100%
Cristalloïdes ++ + + (1/3) (+) (+)
Colloïdes   ++ + (1/3) + (1/4) + (1/6)
C.Globulaires     + (1/3) ++ (1/2) ++ (1/2)
Albumine       + (1/4) + (1/6)
PFC         + (1/6)
Plaquettes         + (vol > 1,5)

Tableau 3. Règles de remplissage vasculaire au cours d’une hémorragie

 

IV. Conclusion

Depuis quelques années la transfusion sanguine est balisée par de nombreuses circulaires ministérielles. Chaque établissement de soins a mis en place des procédures transfusionnelles et une formation des personnels soignants à la sécurité transfusionnelle.

Deux résultats de groupe sanguin (dont un phénotype), une R.A.I. et une prescription médicale signée sont indispensables pour transfuser un patient. Un bilan prétransfusionnel (sérologies virales) est recommandé. Le contrôle prétransfusionnel ultime est le dernier rempart avant l’acte transfusionnel.

 

 

La décision de transfuser ou non doit être prise en évaluant le rapport bénéfice\risque et avec le consentement éclairé du patient (intérêt de la consultation d’anesthésie)

 

 

RESTER SEREINS

TRANSFUSER MOINS ET TRANSFUSER MIEUX

 

V. Bibliographie :

- Conseiller C., Ozier Y. 1997. Transfusion en chirurgie. Médecine Thérapeutique 3 : 793-802