JLAR  1999

 

 

 

Sommaire

 

SDRA

ANTIBIOTHERAPIE DES PNEUMOPATHIES POST-OPERATOIRES

Auteurs : Ph MONTRAVERS, C. MARZJANO, L. ABRUZZESE

Service d'Anesthésie Réanimation C.

CHU D'AMIENS -Groupe Hospitalier Sud - 80054 AMIENS CEDEX

 

 

Résumé

   

INTRODUCTION

Les pneumopathies nosocomiales figurent au troisième rang des infections acquises en milieu hospitalier. En réanimation, ces infections sont même les plus fréquentes, en particulier chez les malades ventilés.

Plusieurs éléments restent pour l’instant débattus, principalement sur la prise en charge des pneumopathies nosocomiales acquises sous ventilation mécanique. Les infections pulmonaires post-opératoires et les infections chez les malades non ventilés ont été oubliés de ces débats. L’essentiel des éléments présentés ici correspond donc à des études effectuées sur des pneumopathies nosocomiales, souvent ventilées artificiellement.

Au cours de ces trois dernières années, le Club d’Infectiologie en Anesthésie-Réanimation (CIAR) a conduit en partenariat avec la SOFRES Médical et le Laboratoire Hoechst-Marion-Roussel une vaste enquête épidémiologique sur la prise en charge des pneumopathies post-opératoires (enquête Foie) dont nous présentons ici quelques résultats. Cette enquête déclarative a été conduite auprès de praticiens de 230 établissements (CHU, CHG, et établissements libéraux). Les observations consécutives collectées sur une période de 9 mois de tous les patients traités pour une pneumopathie post-opératoire, et hospitalisés en service de chirurgie ou en service de réanimation ont été analysées.

DEFINITIONS ET CRITERES DIAGNOSTIQUES

Selon les définitions classiques, les pneumopathies nosocomiales sont des infections acquises après 48 heures au moins d’hospitalisation, et pour les pneumopathies nosocomiales acquises sous ventilation mécanique après 48 heures au moins de ventilation artificielle.

Le diagnostic clinique repose sur l’association d’un syndrome infectieux, d’un syndrome alvéolaire ou alvéolo-interstitiel, d’une bronchorrhée purulente et d’une détérioration gazométrique. Ces éléments sont d’analyse délicate chez les patients présentant une atteinte respiratoire préalable avec une image radiologique pathologique pré-existante.

Les modalités du diagnostic microbiologique posent des problèmes complexes qui apparaissent comme des querelles d’école. Une masse considérable d’informations contradictoires sur la valeur respective des techniques diagnostiques, invasives et non invasives, est publiée chaque année. Aucune technique ne se révèle franchement supérieure aux critères cliniques et la conférence de ~onsensus la plus récente, celle de 1’ American Thoracic Society en 1995, conclut à l’absence dc consensus sur les critères de diagnostic.

Quelques soient les modalités diagnostiques utilisées, toutes les techniques ont des résultats faussement positifs et une part des paients traités n’a pas d’infection pulmonaire. Une antibiothérapie abusive représente ~an stircoùt notable et son impact écologique peut être considérable. A l’opposé, laisser évoluer peïïda~ït plusieurs jours une authentique pneumopathie sous prétexte que la technique de prélèvement n’est pas positive, et risquer d’aggraver les lésions paraît éminemment discuta hie.

La meilleur technique diagnostique est donc probablement celle que le clinicien utilise régulièrement et dont il connaît les limites. De nombreux auteurs proposent d’utiliser une technique à l’aveugle qui paraît suffisante à conforter le diagnostic de pneumopathie bactérienne et à fournir le ou les germes en cause.

La règle la plus importante est d’essayer de réaliser les prélèvements avant l’instauration d’une antibiothérapie. Dans’ l’enquête Foie, un traitement antibiotique a été instauré sans prélèvement microbiologiqie dans près de 15 ~ des observations dont 45 ~ des cas chez des patients hospitalisés en service de, chirurgie.

 MICROBIOLOGIE DES PNEUMOPATHIES NOSOCOMIALES

L’antibiothérapie empirique d’une pneumopathie nosocomiale repose sur une évaluation des micro-organismes pathogènes les plus probablement en cause. Cette évaluation tient également compte de différents facteurs de risque. A l’inverse, le type d’antibiotique àutiliser, et l’indication d’une association d’antibiotiques reste des éléments controversés.

Le type de bactérie responsable de pneumopathie nosocomiale dépend de plusieurs éléments:

-               Le délai de survenue de la pneumopathie par rapport à l’hospitalisation et/ou l’initialisation de la ventilation mécanique. Ce délai permet de classer les pneumopathies en infections précoces, (avant le 50 jour) et tardives (au-delà du 50 jour).

Les pneumopathies précoces sont habituellement liées à des inhalations micro ou macroscopiques, lors d’un contrôle insuffisant des voies aériennes. Les germes les plus fréquemment isolés au cours de ces infections précoces sont généralement issus de la flore oro-pharyngée (Streptococcus pneunioniae, Haemophiius influenzae, entérobactéries et staphylocoques sensibles à la méticilline) et ont une sensibilité conservée aux antibiotiques. Les germes isolés des infections tardives sont la résultante d’une colonisation progressive par des germes de la flore oro-pharyngée modifiée au cours de l’hospitalisation. Dans ces circonstances, Pseudomonas aeruginosa, Acinetobacter spp., les entérobactéries multi-résistantes et les staphylocoques résistants à la méticilline sont habituellement isolés.

-               La présence de facteurs de risque particuliers liés au patient lui-même. Certains éléments semblent favoriser l’émergence de souches plus spécifiques “. C’est le cas de Pseudomonas aeruginosa plus fréquemment isolé en cas d’antibiothérapie dans les 10 jours précédant la pneumonie, d’une pathologie pulmonaire préexistante, ou d’une ventilation mécanique prolongée plus de 8 jours. Baraibar a identifié des facteurs de risque d’infection à Âcinetobacter baunianii: intervention neurochirurgicale, traumatisme crânien, SDRA, inhalation macroscopique de liquide digestif. Enfin, l’incidence des anaérobies reste discutée, mais pourrait être sous-évaluée dans les prélèvements pulmonaires. Les facteurs de risque évoqués sont la chirurgie abdominale et les inhalations de liquide digestif.

-               Les traitements que le patient a reçu ou reçoit, susceptibles de modifier l’écologie microbienne et la sensibilité aux antibiotiques.

RECOMMANDATIONS  POUR  LE  TRAITEMENT  DES  PNEUMOPATHIES NOSOCOMIALES

Plusieurs conférences de consensus ont été menées au cours de ces dix dernières années sur les infections pulmonaires nosocomiales. La conférence de l’ATS est la plus récente, publiée en novembre 1995. Les résultats de cette conférence ont été très largement

critiqués. Cependant plusieurs éléments sont intéressants qui peuvent guider le clinicien dans sa réflexion.

La stratégie développée prend en compte la gravité de la pneumopathie (Tableau 1). Les patients sont stratifiés en trois niveaux de sévérité pour lesquels le choix thérapeutique est différent:

- Dans les pneumopathies de sévérité moyenne chez un patient sans facteur de risque et dans les forme sévères précoces, les alternatives thérapeutiques proposées sont une monothérapie par une céphalosporine de seconde génération ou une céphalosporine de troisième génération sans activité sur Pseudomonas (céfotaxime ou ceftriaxone) ou une amino-pénicilline associée à un inhibiteur de B-lactamase afin de couvrir les germes anaérobies.

- Dans les formes de moyenne sévérité, quelque soit leur délai de survenue, chez un patient présentant des facteurs de risque, la possibilité d’une pneumopathie à Pseudomonas aeruginosa n est pas à exclure (surtout chez les patients ayant reçu une antibiothérapie préalable et/ou porteur d’une pathologie pulmonaire chronique). Ces circonstances imposent une association d’antibiotique efficace sur ce germe (telle qu’une B-lactamine associée à un aminoside ou de la ciprofloxacine). Chez les patients porteurs de troubles de conscience, et les patients opérés de l’abdomen, le risque d’inhalation et les germes anaérobies doivent être pris en compte (amino ou uréidopénicillines * inhibiteur des B-lactamases).

- Dans les formes sévères précoces chez un patient présentant des facteurs de risque et dans toutes les formes de pneumopathies tardives, l’antibiothérapie doit prendre en compte la possibilité d’infection à Pseudomonas aerttginosa, Acinetobacter spp, et staphylocoques résistants à la méticilline. Au stade du traitement empirique une association d’antibiotique est donc nécessaire comportant même dans certains cas une trithérapie (B-lactamine + Aminoside + Vancomycine ou B-lactamine + Fluoroquinolories + Vancomycine).

Un des éléments très critiqués de cette conférence fut la distinction sur la sévérité de l’infection. Aussi, d’autres stratifications ont proposées basées sur le délai de survenue de l’infection et le type de germe le plus probable. telles que les recommandations de l’AP-HP (Tableau 2).

Enfin,, un dernier élément à prendre en compte dans la discussion est la nécessité ou non d’une antibiothérapie adaptée dès le stade empirique du traitement. Un traitement inadapté pourrait être un facteur de mauvais pronostic.

 

Au total, en ce qui concerne les infections post-opératoires, les éléments les plus importants à prendre en compte sont donc:

- Le terrain: maladie sous jacente et co-morbidité, retrouvées dans près de 50% des cas dans l’enquête Foie, BPCO 28%, immunodépression 20 %, insuffisance cardiaque 15%.

- La précocité de l’infection: dans l’enquête Foie, 70% des infections étaient observées dans les 5 premiers jours post-opératoires expliquant une forte proportion de germes des voies aériennes (Haemophiius spp dans 360 o des bacilles à Gram négatifs, streptocoques et pneumocoques pour près de 40% des cocci isolés).

- La fréquence d’une antibiothérapie préalable qu’il s’agisse de l’antibioprophylaxie ou d’un traitement curatif administrés rèspectiVernent chez >80% et 3% des patients de l’étude Eoie. Cette pression de sélection pourraiL CXklkitÎer une fréquence importante de bacilles àGram négatif (5400 dans l’enquête Eu/e, ckmt pres de 3Q0 o de bacilles à gram négatif non fermentants) et de staphylocoques (près de 60% des cocci). La présence de ce type de germe

est probablement à l’origine d’un certain nombre de modifications thérapeutiques puisque le traitement initial a été jugé inadapté 30 % des infections.

En l’absence d’éléments bibliographiques plus substantiels, les recommandations générales éditées dans le tableau 2 paraissent raisonnables. Cependant, cette insuffisance d’information plaide pour des études supplémentaires spécifiquement dévolues aux patients chirurgicaux.

Tableau 1 : Définitions d’une pneumopathïe nosocomiale sévère (d’après la conférence de consensus de l’ATS)

Admission en réanimation

Détresse respiratoire:
      Nécessité d’une ventilation mécanique
                
ou
     Fi02> 35 O o pour maintenir une Sa02> 90 %

Infiltrats pulmonaires se développant rapidement
                 ou
     pneumopathie multi-lobaire
                 ou
     abcédation rapide

Présence de signes de sepsis sévère avec hypotension et/ou défaillance viscérale
     Etat de choc (PAS <90 mm Hg ou PAD <60 mm Hg)
     Utilisation de catécholamines pendant plus de 4 heures
     Oligurie <20 ml/h ou <80 ml/4 heures
     Insuffisance rénale aiguè nécessitant une épuration extrarénale

Tableau 2. Germes les plus fréquemment isolés selon la chronologie et proposition de traitement  (d’après Cremieux AC)

  Germes suspectés Traitement empirique recommandé
PNP précoce (< 1 semaine) et pas d’AB antérieur Entérobactéries Haemophilus
Strepto dont pneumocoques
Staph aureus meti S Anaérobies
Amoxicilline + ac clavulanique
ou Céfotaxime
± Aminosides
PNP précoce (< 1 semaine) et AB dans les 15 jours précédents Entérobactéries  Pseudomonas   Streptocoques  Haemophilus
Staph aureus (
meti Rpossible)
Ticarcilline ou
Ticarcilline- Ac clavulanique ou
Piperacilline-tazobactam
+/- Aminosides
PNPT tardive (>1 semaine) et pas d’AB antérieur Entérobactéries Haemophilus
Streptocoques
Staph aureus meti S et R
Ps aeruginosa
Anaérobies
Ticarcilline- Ac clavulanique ou
Piperacilline-tazobactam
+ Aminosides
PNP tardive (> 1 semaine)
et AB dans les 15 jours
précédents
Pseudomonas
Enterobactéries résistantes
Staph aureus rneti R
Acinetobacter
Streptocoques
Ceftazidime ou Imipénème
+
Amikacine
+
Vancomycine

                                         

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