RETENTISSEMENT PULMONAIRE DE LA VENTILATION ARTIFICIELLE

Thierry Sottiaux (Liège)

Les études animales, réalisées il y a 25 ans, ont démontré que la ventilation mécanique pouvait induire des lésions pulmonaires importantes : lésions histologiques (oedeme, infiltration cellulaire alvéolaire , destruction de la membrane alvéolo-capillaire, fibrose), altération des échanges gazeux, atteinte sévère des propriétés mécaniques ont été observées après quelques minutes d’une ventilation mécanique engendrant de hautes pressions dans les voies respiratoires (33). On utilise généralement le terme de « VILI »  (ventilator-induced lung injury). Les études ont permis de préciser le rôle du niveau des volume pulmonaires télé-inspiratoire et télé-expiratoire dans la genèse des lésions induites par la ventilation. Dreyfuss (6) a élégamment démontré qu’une ventilation avec hautes pressions mais petits volumes pulmonaires n’entraînait pas de lésion pulmonaire, à l’inverse de la ventilation avec hauts volumes mais basses pressions (ventilation à pression périthoracique négative). Il propose, sur base de ses observations, de parler de VOLOTRAUMA (ou VOLUTRAUMA) plutôt que de BAROTRAUMA. Le  traumatisme (distension) mécanique des cellules présentes dans les poumons (macrophages, cellules alvéolaires, cellules endothéliales) (22) pourrait générer des lésions membranaires (rupture de stress), déclencher des réactions biochimiques diverses, conduisant –notamment- à la libération de facteurs pro-inflammatoires. Des altérations structurales et fonctionnelles du Surfactant sont également décrites (12). Les lésions ainsi induites pourraient même favoriser la translocation bactérienne au niveau de la membrane pulmonaire (19). Au sein d’un poumon « hétérogène » ventilé, les risques de surdistension de certaines régions alvéolaires est réel (ventilation des zones saines, non ventilation des zones atteintes). L’atteinte pulmonaire préalable augmente donc considérablement le risque de lésion pulmonaire induite par la ventilation (7).

Un autre élément concerne le niveau de volume pulmonaire télé-expiratoire. Dans les conditions expérimentales et cliniques de SDRA, il est bien démontré que la tendance au collapsus alvéolaire est très importante, notamment suite au déficit en surfactant. Le collapsus alvéolaire expiratoire, suivi d’une ré-ouverture inspiratoire sous l’effet de la ventilation mécanique, est appelé INSTABILITE ALVEOLAIRE. Ce phénomène est délétère pour le poumon car il génère d’importance forces de cisaillement entre les zones fermées et les zones ouvertes, induisant ainsi des lésions tissulaires. De plus, conformément à la loi de LAPLACE, la ré-ouverture alvéolaire nécessite une pression importante ; cette ouverture peut être « brutale » et entraîner de nouvelles lésions de l’épithélium bronchiolaire ou alvéolaire. Il est donc impérieux d’éviter l’instabilité alvéolaire, notamment en appliquant un niveau suffisant de PEEP (18).

Cette cascade de phénomènes induits par une ventilation inadéquate pourrait-elle être influencer le pronostic vital du patient ? Les lésions pulmonaires induites, aboutissant à la libération systémique de médiateurs de l’inflammation et même de microorganismes, sont-elles responsables de la défaillance multi-organique si souvent observée (28).

Nous disposons de quelques données cliniques sur les conséquences « biologiques » de la stratégie ventilatoire. La quantité de médiateurs pro-inflammatoires dans le liquide de BAL et dans le sang circulant est augmentée dans le groupe ventilé de façon « traditionnelle », contrairement au groupe bénéficiant d’une ventilation adaptée aux propriétés mécaniques du système thoraco-pulmonaire (24). Une ventilation évitant d’exposer les poumons SDRA à de grands volumes courants est-elle efficace en termes de morbidité et de mortalité humaine ? Faut-il, à la fois, limiter le volume courant et utiliser un (haut) niveau de PEP dit « adapté » ? Les études successives d’AMATO (1,2), de STEWART (29) et de BROCHARD (4) ont suscité nombre de controverses sur lesquelles nous ne nous étendrons pas. L’étude princeps d’AMATO (1) repose sur un protocole de ventilation remarquable, associant LIMITATION DU VOLUME COURANT et DE LA PRESSION DANS LES VOIES AERIENNES, PEP ADAPTEE A LA RELATION P/V, MANŒUVRES DE RECRUTEMENT. Les résultats apparemment divergents entre ces études trouvent peut-être une réponse dans l’étude du NIH, récemment publiée par « The acute respiratory distress syndrome Network » (4a).

Les causes d’ARDS sont multiples et l’on distingue, un peu schématiquement, le SDRA « pulmonaire » (SDRAP) du SDRA « extrapulmonaire » (SDRAE) (8). Dans le premier cas, on classe essentiellement les pneumopathies infectieuses. Dans le second cas, on trouve le polytrauma, le sepsis, le choc de toute origine,… Le degré d’hétérogénéité semble beaucoup plus marqué dans les situations d’ARDSP. Alors que l’élastance thoraco-pulmonaire est augmentée dans tous les cas, on observe essentiellement une altération de la composante pulmonaire dans les SDRA pulmonaires et une altération plutôt « thoracique » dans les SDRA extra-pulmonaires. L’effet de la ventilation sur la mécanique respiratoire est différent suivant le type de SDRA. La PEP induit aisément des phénomènes de surdistension au cours du SDRAP alors qu’elle induit plutôt des phénomènes de recrutement au cours du SDRAE (8, 31).

Un abord possible et assez élégant de ventilation en situation de SDRA grave est la pression contrôlée adaptée aux caractéristiques d’impédance du système thoraco-pulmonaire du patient. Le monitorage de la courbe débit-temps permet d’adapter le temps inspiratoire et le temps expiratoire afin de permettre le meilleur recrutement et d’éviter d’induire une PEPi (17). On pourrait, théoriquement, suggérer d’adapter la fréquence ventilatoire à la constante de temps du système thoraco-pulmonaire. En situation d’ARDS, cette constante de temps est abaissée : Ti et Te utiles sont donc faibles et il est possible, au cours de la ventilation en pression contrôlée, de recourir à des fréquence respiratoires relativement élevées. Il est possible d’augmenter la fréquence respiratoire sans risque d’induire une augmentation du VD/VT. Cette approche permet de limiter l’incidence de l’hypercapnie. L’effet potentiellement délétère d’une augmentation de la fréquence respiratoire est cependant suggéré dans une publication récente (11).  Certains auteurs préconisent, cependant, de favoriser l’association de la ventilation spontanée et de la ventilation contrôlée afin d’optimiser la distribution de la ventilation et d’améliorer ainsi le rapport V/Q (23).

L’inversion du rapport I/E permet une augmentation de la pression moyenne dans les voies aériennes et, de là, une amélioration des paramètres gazométriques. Il est cependant important de souligner que l’induction d’une PEP intrinsèque en fait perdre les bénéfices (la PEPi survient plutôt dans les zones normales, étendant ainsi l’étendue de la zone 1 de West) (12, 32). Le mécanisme d’action de l’inversion du rapport I/E pourrait être une redistribution des oedemes des zones interstitielles alvéolaires vers les zones interstitielles extra-alvéolaires.

La tendance au collapsus d’un poumon SDRA est énorme. En présence d’une PEPe insuffisante, les phénomènes de collapsus surviennent si le temps expiratoire atteint ou dépasse 0.6 sec (20). Sur certains modéles animaux, la PEPe doit atteindre 20 cm d’eau pour prévenir le dérecrutement (20). Quel que soit le niveau de PEPe appliqué au patient, il semble que son application la plus précoce possible en situation de SDRA réduise le risque de VILI (prévention des atélectasies de compression, stabilisation des petites voies aériennes, diminution de la pression capillaire transmurale) (5, 25). Il est suggéré d’adapter le niveau de PEP aux propriétés mécaniques du système thoraco-pulmonaire. Le moyen le plus direct est d’adapter la PEPe à la courbe pression-volume réalisée en conditions statiques ou quasi-statiques (27). Une telle mesure n’est pas simple à réaliser et ne peut permettre qu’une évaluation globale d’un poumon très hétérogène : elle ne peut effectivement prévenir le risque de surdistension de zones saines (13). L’utilité réelle de cette manœuvre est largement discutée –voire contestée- dans la littérature et, à l’heure actuelle, son efficacité en termes de morbidité et de mortalité n’est pas prouvée (10)

Le concept d’hypoventilation expose, per se, au risque d’hypercapnie. On parle d’ « hypercapnie tolérée », tout en admettant qu’existent certaines contre-indications claires (pathologies cérébrales, pathologies cardiaques). Certaines données récentes semblent démontrer un certain effet bénéfique de l’acidose respiratoire (diminution des lésions de reperfusion cérébrale, cardiaque , pulmonaire; inhibition de la xanthine oxydase, réduction de la consommation d’oxygène) au point que certains auteurs suggèrent de parler d’ « hypercapnie thérapeutique »…Il semble que ce soit plutôt l’acidose comme telle (plutôt que l’hypercapnie) qui joue une rôle protecteur (modifications de pH intracellulaire, vasoconstriction pulmonaire, inhibition de la xanthine oxydase) (15).

La stratégie ventilatoire reposant sur le principe d’un volume courant limité expose cependant au risque de « dérecrutement ». Ce risque est accrû lors de la ventilation avec de hauts pourcentages d’oxygène. Une instabilité alvéolaire puis une atélectasie de réabsorption résultent de la dénitrogénation d’alvéoles présentant un bas rapport ventilation/perfusion (quasi absence de ventilation expiratoire). Ce phénomène peut, lui-même contribuer à l’instabilité préexistante des voies respiratoires terminales et constituer un facteur aggravant les lésions pulmonaires induites par la ventilation. Chez des patients en défaillance respiratoire hypoxémique aiguë, la ventilation contrôlée à 100% d’O2 induit, en 30 minutes, une augmentation significative du shunt intrapulmonaire sans modification de la distribution du débit sanguin pulmonaire (26). Cliniquement, cet effet est totalement masqué par une augmentation de la PaO2 induite par l’augmentation expérimentale de la FiO2.

Les manœuvres de recrutement sont donc proposées dans la littérature récente. La pression nécessaire à appliquer pourrait être relativement importante (jusqu’à 40 cm d’eau) et le résultat tributaire de l’état pathologique du poumon. En présence d’un poumon très hétérogène (ARDS »primaire »), le risque de surdistension des zones saines pourrait être important (30).

Une manière « simple » de recruter et d’harmoniser la distribution de la ventilation est la position ventrale (« prone position »). La distribution plus uniforme de la pression pleurale est le principal mécanisme invoqué et explique l’amélioration gazométrique observée dans les situations de SDRA sévère (Guérin). Le décubitus ventral permettrait de diminuer l’importance des lésions pulmonaires induites par la ventilation (3).

L’application d’une pression de 30 à 45 cm d’eau pendant 20 à 40 secondes est également proposée dans la littérature. Les effets gazométriques à court terme chez les patients SDRA semblent favorables (16).

Le recours aux « soupirs » est également proposé et induit des résultats similaires (21).

En conclusion, la ventilation mécanique peut induire des lésions sévères sur un poumon préalablement pathologique. Les bases de la prévention reposent sur la limitation du volume télé-inspiratoire, sur le maintien d’un volume pulmonaire télé-expiratoire évitant le collapsus expiratoire, sur le recours (systématique et/ou après déconnection) à certaines manœuvres de recrutement. D’autres facteurs n’ont pu être envisagés ici, tels le niveau de FiO2 et l’impact hémodynamique de la ventilation.

 

1.Amato MB et al. Beneficial effects of the “open lung approach” with low distending pressures in acute respiratory distress syndrome. Am J Respir Crit Care Med, 1995, 152, 1835.

2.Amato MB et al. Effect of a protective-ventilation strategy on mortality in the acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med, 1998, 338, 347.

3.Broccard A et al. Prone positioning attenuates and redistributes ventilator-induced lung injury in dogs. Crit Care Med, 2000, 28, 295.

4.Brochard L et al. Tidal volume reduction for prevention of ventilator-induced lung injury in acute respiratory distress syndrome. Am J Respir crit care Med, 1998, 158, 1831.

4a. Brower R.G and the ARDS Network: Ventilation with low tidal volumes as compared with traditional tidal volumes for acute lung injury and the acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med, 2000, 342, 1301.

5.Colmenero-Ruiz M et al. PEEP and low tidal volume ventilation reduce lung water in porcine pulmonary edema. Am J Respir Crit care Med, 1997, 155, 964.

6.Dreyfuss D et al. High inflation pressure pulmonary edema. Respective effects of high airway pressure, high tidal volume and positive end-expiratory pressure. Am J Respir Crit care Med, 1988, 137, 1159.

7.Dreyfuss D et al. Mechanical ventilation-induced pulmonary edema. Interaction with previous lung alterations. Am J Respir Crit care Med, 1995, 151, 1568.

8.Gattinoni L et al: Acute respiratory distress syndrome caused by pulmonary and extrapulmonary disease. Different syndromes ? Am J respir Crit Care Med, 1998, 158, 3.

9.Guérin C et al: Effects of prone position on alveolar recruitment and oxygenation in acute lung injury. Intensive Care Med, 1999, 25, 1222.

10.Harris RS et al: An objective analysis of the pressure-volume curve in the acute respiratory distress syndrome. Am J Respir Crit Care Med, 2000, 161, 432.

11.Hotchkiss JR et al: Effects of decreased respiratory frequency on ventilator-induced lung injury. Am J Respir Crit Care Med, 2000, 161, 463.

12.Ito Y et al: Ventilation strategies affect surfactant aggregate conversion in acute lung injury. Am J Respir Crit Care Med, 1997, 155, 493.

13.Kacmarek RM et al. The effects of applied vs auto-PEEP on local lung unit pressure and volume in a four-unit lung model. Chest, 1995, 108, 1073.

14.Kunst PWA et al: Regional pressure volume curve by electrical impedance tomography in a model of acute lung injury. Crit Care Med, 2000, 28, 178.

15.Laffey JG et al: Buffering hypercapnic acidosis worsens acute lung injury. Am J Respir Crit Care Med, 2000, 161, 141.

16.Lapinsky SE et al: Safety and efficacy of a sustained inflation for alveolar recruitement in adults with respiratory failure. Intensive Care Med, 1999, 25, 1297.

17.Marik P et al: Pressure-Controlled ventilation in ARDS: a practical approach. Chest, 1997, 112, 1102.

18.Muscedere JG et al. Tidal volume at low airway pressures can augment lung injury. Am J Respir Crit Care Med, 1994, 149, 1327.

19.Nahum A et al. Effect of mechanical ventilation strategy on dissemination of intratracheally instilled escherichia coli in dogs. Crit Care Med, 1997, 25, 1733.

20.Neuman P et al: Effect of different pressure levels on the dynamics of lung collapse and recruitment in oleic-acid-induced lung injury. Am J Respir Crit Care Med, 1998, 158, 1636.

21.Pelosi P et al: Sigh in acute respiratory distress syndrome. Am J Respir Crit Care Med, 1999, 159, 872.

22.Pugin J et al: Activation of human macrophages by mechanical ventilation in vitro. Am J Physiol, 1998, 275, L1040.

23.Putensen C et al: Spontaneous breathing during ventilatory support improves ventilation-perfusion distributions in patients with acute respiratory distress syndrome. Am J Respir Crit Care Med, 1999, 159, 1241.

24.Ranieri VM et al: Effect of mechanical ventilation on inflammatory mediators in patients with acute respiratory distress syndrome. A randomised controlled trial. JAMA, 1999, 282, 54.

25.Ruiz-Bailen M et al: Immediate application of positive-end expiratory pressure is more effective than delayed positive end-expiratory pressure to reduce extravascular lung water. Crit Care Med, 1999, 27, 380.

26.Santos C et al : Pulmonary gas exchange response to oxygen breathing in acute lung injury. Am J Resp Crit Care Med, 2000, 161, 26.

27.Servillo G et al: Pressure-Volume curves in acute respiratory failure. Automated low flow inflation versus occlusion. Am J Respir Crit Care Med, 1999, 155, 1629.

28.Slutsky A et al. Multiple system organ failure. Is mechanical ventilation a contributing factor ? Am J Respir Crit Care Med, 1998, 157, 1721.

29.Stewart T et al. Evaluation of a ventilation strategy to prevent barotrauma in patients at high risk for acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med, 1998, 338, 355.

30.Svantesson et al: Effects of recruitment of collapsed lung units on the elastic pressure-volume relationship in anaesthetised healthy adults. Acta Anaesthesiol Scand, 1998, 42, 1149.

31.Vieira SR et al: A lung computed tomographic assessment of positive end-expiratory pressure-induced lung overdistension. Am J Respir Crit Care Med, 1998, 158, 1571.

32.Yanos J et al. The physiologic effects of inverse ratio ventilation. Chest, 1998, 114, 834.

33.Webb HH et al: Experimental pulmonary edema due to intermittent positive pressure ventilation with high inflation pressures. Protection by positive end-expiratory pressure. Am Rev Respir Dis, 1974, 110, 556.